Historique des efforts déployés en Afrique en appui à l’intégration régionale

AUL’échec des tentatives menées depuis les indépendances pour parvenir à une industrialisation réussie, caractérisée par une substitution aux importations, a forgé le concept d’intégration régionale au service de la transformation structurelle de l’Afrique. Les pays africains ont ainsi adopté l’intégration régionale comme composante essentielle de leurs stratégies de développement, principalement articulées sur la motivation économique de surmonter l’isolement de petites économies fractionnées. Une succession d’organisations panafricaines ont œuvré pour renforcer la coopération et l’intégration aux plans économique, social et politique en Afrique. Le présent document donne un bref aperçu des étapes de l’intégration régionale sur le continent.

Nombre de mécanismes transfrontaliers coloniaux ont été maintenus après l’indépendance des pays africains, en appui au programme d’intégration régionale mené jusqu’ici. L’ancienne Communauté financière africaine (CFA), rassemblant l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sous la zone franc CFA, en est une excellente illustration. Le franc CFA de l’Afrique de l’Ouest a été finalement rattaché à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) sur le territoire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le franc CFA de l’Afrique centrale a été intégré au projet de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC) dans la région de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). De même, en Afrique australe, l’Union douanière d’Afrique australe et son union monétaire, la Zone monétaire commune, devraient être intégrées dans la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).

Divers mécanismes émanant d’organisations panafricaines contribuent à la promotion d’une croissance économique soutenue et du développement durable, avec l’intégration régionale au cœur de leur fonctionnement. Créée par le Conseil économique et social de l’ONU en 1958, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) est l’une des cinq commissions régionales de l’Organisation des Nations Unies œuvrant en coopération avec des partenaires et des États membres au service du développement durable en Afrique. L’action de la CEA se concentre sur la fourniture d’une assistance technique, les travaux de recherche et l’analyse de politiques afin de renforcer les capacités des institutions chargées de mener le programme d’intégration régionale, notamment l’Union africaine, les communautés économiques régionales et les États membres.

De plus, la réponse aux enjeux du développement de l’Afrique est une priorité essentielle de la CEA, en particulier dans le contexte de la lutte contre la pauvreté afin d’assurer une croissance durable et une bonne gouvernance sur le continent et ainsi, de promouvoir la coopération internationale pour le développement de l’Afrique. Dans les années 1960, la CEA avait recommandé la création de groupements sous-régionaux en Afrique à cette fin. À la même époque, les chefs d’État et de gouvernement de 30 des 32 pays africains indépendants se sont réunis le 25 mai 1963[1] pour créer l’Organisation de l’unité africaine (OUA) lors de la Conférence des États africains indépendants. Outre les efforts visant à s’affranchir de la colonisation et de l’apartheid, l’OUA avait fixé les objectifs prioritaires suivants: la promotion de l’unité et de la solidarité entre les États africains; la mise en place et le renforcement de la coopération pour le développement sur le continent; la protection de la souveraineté et l’intégrité territoriale de ses États membres; et l’exhortation à la coopération internationale telle que définie par l’Organisation des Nations Unies[2]. La création de l’OUA a eu lieu en parallèle à celle du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) suite à la signature de l’accord par 23 États membres fondateurs le 14 août 1963 à Khartoum (Soudan). Le Groupe comprend deux autres institutions en plus de l’institution mère de la BAD, à savoir le Fonds africain de développement créé le 29 novembre 1972 par la BAD et 13 pays non africains; et le Fonds spécial du Nigéria, établi en 1976 par le Gouvernement fédéral du Nigéria.

La création de l’institution financière qu’est le Groupe de la BAD s’inscrit en réponse aux exigences de coopération plus poussée en matière d’investissements de capitaux publics et privés dans des projets susceptibles de contribuer au développement économique et social du continent. Le Groupe a pour principaux objectifs la mobilisation et l’allocation de ressources pour les investissements dans les États membres et l’offre de conseils stratégiques ainsi qu’une assistance technique à l’appui des efforts de développement sur le continent[3] 

L’action des organisations panafricaines susmentionnées est étayée par les traités, protocoles, conventions et autres accords officiels conclus par les États souverains et les organisations internationales (dont les organisations panafricaines et les communautés économiques régionales) et est donc contraignante en vertu du droit international. Les mécanismes d’intégration régionale émanent soit du Plan d’action de Lagos, soit lui sont antérieurs. Le Plan d’action de Lagos joue un rôle essentiel dans l’histoire de l’intégration régionale en Afrique. Largement appuyé par la CEA, il a été adopté en 1980 lors du Sommet extraordinaire de l’OUA à Lagos (Nigéria), où il a été lancé comme une initiative spéciale de l’Organisation. Le Plan d’action de Lagos, et l’Acte final de Lagos qui l’a suivi, ont tous deux été poussés par le besoin de parvenir à une autosuffisance aux niveaux continental et national et d’établir une économie continentale autonome.

La création d’une communauté économique africaine dans un avenir proche, le renforcement des communautés économiques régionales existantes et la création d’autres communautés pour couvrir l’ensemble du continent comptent parmi les principales décisions prises. En Afrique de l’Ouest, la CEDEAO existait avant la mise en place du Plan. L’Afrique australe disposait également d’un accord de coopération socioéconomique, la Conférence de coordination pour le développement de l’Afrique australe, créée dans les années 1980 et qui sera remplacée par la SADC en 1992. De même, en Afrique australe et orientale, la Zone d’échanges préférentiels créée en 1981 est devenue le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) en 1993. En revanche, en Afrique centrale, la CEEAC n’a été créée qu’en 1983 par les dirigeants de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC) préexistante. Les mécanismes susmentionnés devaient être intégrés au cadre du Plan d’action de Lagos. Les engagements pris dans le cadre du Plan d’action de Lagos et de l’Acte final de Lagos se sont traduits par un accord spécifique en juin 1991 lors de la signature du Traité instituant la Communauté économique africaine (Traité d’Abuja) à Abuja (Nigéria) par les chefs d’État et de gouvernement de l’OUA. Les autres communautés économiques régionales, à savoir l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) établie en 1986, l’Union du Maghreb arabe (UMA) établie en 1989, la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) fondée en 1998) et la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) créée en 1999, ont toutes accédé au statut de communautés économiques régionales après la signature du Traité d’Abuja[4].

Le Traité d’Abuja est sans doute l’accord le plus important en termes de collaboration, de coordination et de convergence économique, sociale et politique en Afrique. En effet, il voit dans la création d’une Communauté économique africaine l’avenir du continent. Le processus d’intégration devrait s’étendre sur une période de 34 ans, allant de 1994 à 2028. Suite à la signature du Traité, le Sommet des chefs d’État et de gouvernement a convoqué une réunion du Comité sur la révision de la Charte, établi en 1979, pour passer en revue la Charte de l’OUA aux fins d’alignement avec le Traité d’Abuja. Malgré les nombreuses tentatives menées depuis 1979, les États membres de l’OUA ne sont pas parvenus à s’accorder sur les amendements de la Charte de 1963.

Enfin, lors du quatrième sommet extraordinaire de l’Organisation de l’unité africaine tenu le 9 septembre 1999 à Syrte (Libye), les chefs d’État et de gouvernement ont appelé à la création d’une Union africaine (Déclaration de Syrte) conformément aux objectifs finaux de la Charte de l’OUA et aux dispositions du Traité d’Abuja. Cela a donné lieu à l’Acte constitutif de l’Union africaine le 11 juillet 2000 à Lomé (Togo). À la trente-septième session du Sommet en 2001 à Lusaka (Zambie), les chefs d’État et de gouvernement sont convenus d’une période de transition d’un an, alors que les États membres et le Secrétariat général ont initié un processus consultatif intensif avant le lancement inaugural de l’Union africaine le 9 juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud).

À cette même trente-septième session du Sommet des chefs d’État et de gouvernement, en 2001, les dirigeants africains ont adopté le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Il a été ratifié par l’Union africaine en 2002 à Durban pour aborder les enjeux du développement en Afrique selon un paradigme nouveau. Le NEPAD avait pour principaux objectifs de lutter contre la pauvreté, placer l’Afrique sur la voie du développement durable, mettre fin à la marginalisation de l’Afrique et promouvoir l’autonomisation des femmes. Le partenariat prévoit un programme de développement global, intégré en réponse aux principaux enjeux socioéconomiques et politiques du continent. Le programme pour le développement des infrastructures en Afrique en est un exemple concret. L’initiative recouvre divers projets liés aux infrastructures transfrontalières dans les domaines des transports, de l’énergie, de l’eau et des technologies de l’information et de la communication. Le Sommet de Durban a également approuvé la création du Mécanismeafricain d’examen par les pairs du NEPAD, mis en œuvre en 2003, afin de renforcer la promotion et le suivi des bonnes pratiques de gouvernance entre les États membres et au niveau national.

Malgré le retard enregistré dans la mise en œuvre des initiatives liées à l’intégration régionale, la quatrième Conférence des ministres africains de l’intégration a adopté le Programme minimum d’intégration, le 9 mai 2009. Ce dernier inclut un plan d’action visant à accélérer la coordination, la convergence et la collaboration entre les communautés économiques régionales en vue de réaliser l’objectif ultime de la Communauté économique africaine. Il recense également les obstacles d’ordre structurel et financier susceptibles d’entraver la mise en œuvre du Traité d’Abuja et présente une feuille de route pour relever les défis. En parallèle, le COMESA, la Communauté d’Afrique de l’Est et la SADC sont convenus de négocier un accord de zone de libre-échange tripartite comme composante de la zone de libre-échange continentale le 22 octobre 2008[5].Parallèlement aux négociations tripartites, la dix-huitième session ordinaire du Sommet de l’Union africaine s’est tenue en janvier 2012 à Addis-Abeba, sur le thème « Stimuler le commerce intra-africain ». Le Sommet a approuvé le plan d’action associé et l’accélération de la création de la zone de libre-échange continentale[6]. Après le succès du premier forum de négociations organisé du 22 au 27 février 2016 à Addis-Abeba et en vue du second forum prévu en mai 2016, la zone de libre-échange continentale est à ce jour l’accord commercial régional le plus global en cours de négociation[7].

 


[1] Les deux pays restants, le Togo et le Maroc, ont signé avant la fin de l’année 1963. Disponible à l’adresse: http://www.uneca.org/fr/pages/%C3%A0-propos-0

[2] Union africaine, AU in a nutshell. Disponible en anglais à l’adresse: http://www.au.int/en/about/nutshell

[3] Groupe de la Banque africaine de développement, Mission et stratégie. Disponible à l’adresse: http://www.afdb.org/fr/about-us/mission-strategy

[4] Alan Matthews, Regional Integration and Food Security in Developing Countries (Intégration régionale et sécurité alimentaire dans les pays en développement), Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 2003.

[5] Après de longues négociations, l’accord de zone de libre-échange tripartite a été officiellement lancé le 10 juin 2015, à Charm-el-Cheikh en Égypte.

[6] Il n’est pas fait mention de la zone de libre-échange continentale dans le Traité d’Abuja. Cependant, elle constitue un préambule à la Communauté économique africaine fixée pour la date indicative de 2017.