La chute des cours des matières premières a appelé de nouveau l'attention sur le maintien à long terme de la croissance en Afrique. Pendant plus d'une décennie, la forte demande et la hausse des prix des produits de base africains ont considérablement stimulé la croissance sur le continent. Cependant, depuis 2011, la baisse continue des cours du pétrole et du gaz naturel, et, plus récemment, d'autres minéraux, risque de transformer le vent en poupe en vents contraires. Reflux de la demande dans les grandes économies émergentes, conjuguée à la fragilité croissante des économies développées, volatilité de la monnaie et recul de la confiance : autant de facteurs qui commandent de procéder à un examen objectif de la situation.
L'indice mondial des prix des produits de base a fortement régressé, passant de 125-150 entre août et décembre 2014 à moins de 103 en octobre 2015. Les prix du pétrole brut ont dégringolé de plus de 100 dollars le baril en septembre 2014 à moins de 50 dollars le baril en septembre 2015. Les cours des métaux poursuivent leur tendance à la baisse, s’établissant en dessous de 125 dollars en août 2015. En fait, certains analystes estiment que les prix des minéraux et des métaux sont actuellement à leur plus bas niveau depuis août 2002. Les compagnies minières tentent de dissiper les craintes de pertes de profits réduisant la production. Certaines estimations laissent entrevoir des réductions des dépenses d’équipement de près de 20 milliards de dollars en 2015.
Du Nigeria à la Zambie, en passant par l'Angola ou l'Afrique du Sud, la baisse des prix des produits de base décélère la croissance, une situation dont les répercussions se font sentir sur la vie quotidienne. Selon les estimations de septembre 2015, les monnaies africaines étaient en baisse de plus de 20 % face au dollar des États-Unis. Dans un effort visant à réduire sa dette globale de 30 milliards de dollars et de rétablir la confiance des investisseurs, Glencore, la société multinationale anglo-suisse de négoce de matières premières et d'exploitation minière, a réduit de 500 000 tonnes sa production de zinc et suspendu l’extraction de cuivre dans son unité minière du Katanga, en République démocratique du Congo, et ses mines de cuivre de Mopani en Zambie. Ces mesures ont conduit au retrait de 400 000 tonnes de cuivre du marché. Le ralentissement en Chine est considéré comme la principale cause de cette évolution spectaculaire de la demande. Mais la réalité est certainement plus complexe.
Les pays africains ne sont pas les seuls exposés à ces intempéries. Les économies traditionnelles et émergentes sont également victimes du malaise grandissant. Le Brésil est confronté à des déficits commerciaux estimés à 40 milliards de dollars, contre un excédent commercial de 20 milliards de dollars en 2010. La Russie connaît des défis similaires, avec une croissance de seulement 0,5 % en 2014, aggravés par les tensions géopolitiques et les sanctions qui y sont associées. La Colombie, la Turquie, le Mexique et le Chili ont tous vu leur monnaie se déprécier entre 20 % et 50 % par rapport au dollar. Les marchés boursiers ont réagi à la baisse des prix par la dégringolade des cours, certaines étant souvent fortes. Mais de loin, le phénomène ayant eu plus d’impact reste le ralentissement de la croissance en Chine, la plus faible en un quart de siècle.
Les pays africains continuent de résister. En dépit du fléchissement des prix des matières premières, la dynamique de croissance, estimée à un niveau supérieur à la moyenne mondiale et des pays en développement, soit près de 4 % en 2015, devrait se poursuivre. L'analyse montre que l'incidence de la récente baisse des cours du pétrole sur la croissance de l'Afrique a été moins fortement ressentie que prévu. La baisse des prix du pétrole a eu un impact négligeable. En fait, la croissance de l'Afrique s’explique surtout par la demande intérieure et l'amélioration de la gestion macroéconomique. Les progrès enregistrés dans la croissance économique et l’augmentation de richesse contribuent à la croissance projetée des actifs de l’Afrique d’environ un milliard de dollars d'ici à 2020. Cela représente une hausse équivalente à près de trois fois le résultat total de 293 milliards de dollars enregistré en 2008, selon les dernières recherches effectuées par Pricewaterhouse Coopers dans douze pays africains. En effet, les actifs sous gestion traditionnels de l'Afrique connaissent une expansion dynamique, stimulée par des mégatendances telles que la poussée démographique, la croissance de classe moyenne, l'utilisation accrue de la technologie et l'urbanisation rapide.
Mais le fait demeure qu’une bonne part des richesses de l’Afrique continue de dépendre du secteur des produits de base. Les matières premières représentent encore plus de 80 % des exportations africaines, les industries extractives se taillant la part du lion. La valeur ajoutée apportée dépasse à peine 10 %. Les emplois dans le secteur formel créés par l'exploitation minière représentent 1 % sur le continent. Ces deux éléments sont évidemment liés, l'Afrique exportant ses produits et ses emplois simultanément. Le continent a peu fait pour inverser une telle situation épouvantable. Il se doit de faire face à sa main d’œuvre sans cesse croissante, et vite.
Réveillée par le super cycle de chute des cours des produits de base, le moment est venu pour l'Afrique d'accélérer son industrialisation fondée sur les produits de base, comme l’y encourage la Commission économique pour l'Afrique. En effet, la Commission préconise une politique d'industrialisation qui repose sur les ressources abondantes du continent et la réorganisation du processus global de production. Cela implique l'ajout de valeur aux produits de base, l'amélioration de leur intégration en amont et l’établissement de liens entre les chaînes de valeur mondiales et les autres secteurs de l'économie. Outre la création d’emplois, de revenus, de bénéfices pécuniaires et non pécuniaires, les pays africains, en ajoutant de la valeur à leurs matières premières au plan local, peuvent aussi assurer la diversification des capacités technologiques, l’élargissement des compétences disponibles et l'approfondissement des structures industrielles de chaque pays.
À court terme, il serait nécessaire d'avoir un indice de matières premières qui reflète véritablement le poids des produits de base du continent dans son PIB et les impacts de ses projets fondés sur les réalités africaines plutôt que sur des approximations. Cela est important si on veut que le mauvais temps ne soit pas nécessairement synonyme de tempête. Les Africains connaissent parfaitement l'importance de cette distinction.