Carlos Lopes

Afrique: La course du guépard

Le blog de l'ancien Secrétaire exécutif

Biographie officielle du Dr. Carlos Lopes

Mon lieu de naissance est le même que celui de mes parents et il constitue le tout premier élément qui me définit. Canchungo est un village d’environ 10 000 habitants, dans le nord-ouest de la Guinée-Bissau, mais que nous appelions ville avec beaucoup de fierté. Le paysage environnant est féerique: où qu’on regarde, des rivières et un tapis vert qu’on pourrait prendre pour le Congo ou l’Amazone tellement il y a d’eau. 
 
Mon père fut jeté en prison non loin de Canchungo en raison de son soutien à la lutte pour l’indépendance. En ce temps-là, je n’étais qu’un petit garçon qui essayait de comprendre ce qui se passait. J’avais 13 ans à l’indépendance de la Guinée-Bissau. Juste après, je fus pris dans la tourmente de la politique, adhérant complètement aux idéaux du panafricanisme. Mon mentor était Mario de Andrade, intellectuel angolais vivant alors en Guinée-Bissau. Andrade, un des fondateurs et président du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), s’est trouvé impliqué dans tous les mouvements politiques et intellectuels panafricains de cette époque. Il fut aussi la tête pensante de la prestigieuse maison d’édition Présence africaine à Paris dans les années 50.
 
J’ai obtenu mon baccalauréat au lycée Kwame Nkrumah en 1977. Quand j’ai été prêt à entrer à l’université, il n’y en avait aucune dans mon pays. J’ai dû passer par le puissant réseau de Andrade pour avoir une bourse. C’est ainsi que je me retrouvai à Genève et plus tard à Paris où je terminai un doctorat. J’ai eu la chance de pouvoir axer mes recherches sur les questions africaines et les questions de développement. 
 
Quand les problèmes ont commencé à assaillir mon pays coup d’État après coup d’État, j’ai été déçu par les gens au pouvoir. Ma contribution à la fonction publique devait se faire à un autre niveau. C’est ainsi que j’ai rejoint les Nations Unies tout en m’efforçant de ne jamais perdre le contact avec les réseaux intellectuels du continent. J’ai fait de mon mieux pour appliquer quelques principes importants dans ma vie professionnelle. Ne jamais rien surestimer; toute réalité doit être analysée dans toute sa complexité. «Ne pas simplifier l’Afrique et ses problèmes» en est une illustration. «Ne jamais sous-estimer l’importance que les actes d’aujourd’hui ont pour l’édification de l’avenir». Dans cette perspective, chaque pas compte, et surtout il faut tirer la leçon des échecs. J’aime dire que les Africains ont fait beaucoup d’erreurs, mais qu’ils en ont subi davantage encore. 
 
L’heure de l’Afrique est venue et nous devons tirer parti des bonnes nouvelles qui ont commencé à inverser cette image d’“infériorité africaine ” construite à partir du XVème siècle. Le défi est exaltant, mais il faudra aussi un revirement de la fatalité. Les africains ne peuvent pas simplement courir. Ils doivent courir plus vite que quiconque court ou a jamais couru. Si le monde s’émerveille encore devant les tigres asiatiques, qu’il s’apprête maintenant à l’essor de l’animal le plus rapide de la terre: le guépard, élancé et intelligent, métaphore de l’Afrique prête à battre tous les records!