Le « monde bleu » se compose en Afrique d’un vaste réseau de lacs, de rivières et d’étendues marines riches en ressources naturelles. Trente-huit des 54 pays que compte l’Afrique sont des États côtiers. Plus de 90 % des importations et des exportations africaines transitent par la mer, et plusieurs des corridors commerciaux les plus stratégiques de la planète sont situés en Afrique, renforçant le poids géopolitique du continent. Les eaux territoriales sous juridiction africaine totalisent quelque 13 millions de kilomètres carrés, et le plateau continental s’étend sur environ 6,5 millions de km². Avec une superficie d’à peine 1 850 km², Maurice est l’un des plus petits pays d’Afrique et au monde, mais ses eaux territoriales en font un pays de 1,9 million de km², la taille de l’Afrique du Sud. Autrement dit, sous la mer existe une autre Afrique. C’est donc à juste titre que l’Union africaine qualifie l’économie bleue de « nouvelle frontière de la renaissance de l’Afrique ».
Les étendues marines et aquatiques de l’Afrique deviennent un thème incontournable du discours politique ; les ressources naturelles qu’elles recèlent sont largement sous-exploitées, mais leur contribution potentielle à un développement durable et inclusif est désormais reconnue. Le « monde bleu » est plus qu’un paramètre de l’économie — il appartient au patrimoine géographique, social et culturel de l’Afrique. Pour le mettre au service de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain, il importe de mieux réaliser les immenses potentialités d’un investissement et d’un réinvestissement dans les domaines marin et aquatique du continent, et les bénéfices à tirer du paradigme d’un développement bleu durable qui tournerait le dos aux prélèvements illégaux, à la dégradation de l’environnement et à l’épuisement des ressources naturelles. Exploitée à fond et correctement gérée, l’économie bleue peut constituer une source de richesse capitale, et catapulter le continent sur la voie du développement durable.
Les économies africaines continuent de croître à un rythme remarquable, grâce notamment à l’exploitation et à la commercialisation des abondantes ressources naturelles terrestres dont est doté le continent. Mais il faut penser autrement si l’on veut convertir cette croissance en progrès durable, associant répartition inclusive de la richesse et respect de l’environnement, et prenant en considération les plus grandes exigences sociales. Cette ambition implique aussi la création d’emplois de qualité pour répondre à la croissance démographique, grâce à une diversification de l’économie et à des stratégies explorant les nouvelles frontières du développement et de l’innovation. L’économie bleue en offre l’occasion. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime par exemple que l’énergie renouvelable des océans pourrait satisfaire 400 % de la demande mondiale actuelle d’électricité. En 2010, selon d’autres estimations, le chiffre d’affaires des activités liées au monde de la mer s’est élevé à 1 500 milliards d’euros, et il se montera chaque année à 2 500 milliards d’euros à l’horizon 2020. L’Afrique doit à l’évidence adopter des stratégies holistiques et cohérentes pour exploiter le plein potentiel de l’économie bleue.
L’économie bleue peut jouer un rôle essentiel dans la transformation structurelle de l’Afrique, la croissance économique durable et le développement social. Elle concerne toutes les étendues d’eau, y compris les lacs, les cours d’eau et les nappes souterraines, sans oublier les mers et les côtes. Les principales branches de l’activité économique de l’Afrique basée sur les ressources marines et aquatiques sont aujourd’hui la pêche, l’aquaculture, le tourisme, les transports, le secteur portuaire, le secteur minier et le secteur de l’énergie. Mais l’approche de l’économie bleue insiste aussi sur les interconnexions entre ces activités et les autres secteurs, elle prend en compte les filières émergentes et porteuses d’avenir, et elle intègre d’importantes considérations sociales comme l’égalité hommes-femmes, la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau, la réduction de la pauvreté, la préservation des ressources ou encore la création d’emplois.
L’approche du développement de l’économie bleue que nous prônée dans la nouvelle publication de la CEA* se fonde sur un usage durable et une gestion conservatoire des écosystèmes aquatiques et marins et des ressources qui leur sont associées. Elle se réfère aux principes d’équité, de faible bilan carbone, d’efficacité énergétique, d’inclusion sociale et de développement sur une base élargie, avec la création d’emplois comme centre de gravité. Elle mise sur un processus déterminé de coopération et d’intégration régionales, elle considère la transformation structurelle du continent comme un impératif du développement de l’Afrique, et elle préconise une rupture totale avec les modèles de développement enclavé. Au contraire, en améliorant ses connexions avec les autres secteurs d’activité, l’économie bleue consacre les secteurs liés aux mers et aux eaux comme chaînon des services écosystémiques intégrés, basé sur l’exploitation des ressources biologiques et non biologiques, au bénéfice de tous les États qu’ils soient côtiers, insulaires ou enclavés.
Ses ressources biotiques doivent inciter l’Afrique à développer la pêche, l’aquaculture et la mariculture, et elles ouvrent de prometteuses perspectives aux industries chimiques, pharmaceutiques et cosmétiques. L’extraction minière et les nouvelles sources d’énergie sont les fondements d’une industrialisation basée sur l’exploitation des ressources naturelles, et elles placent l’Afrique au cœur du commerce mondial des produits à valeur ajoutée, au lieu du rôle de simple fournisseur de matières premières brutes. Au cœur de ce scénario figure la nécessité de moderniser la logistique et le transport maritimes, les infrastructures portuaires et ferroviaires. Il s’agit d’améliorer leur fiabilité et leur efficience, avec le souci de tisser des liens entre l’économie du continent et les chaînes de valeur nationales, régionales et mondiales, tout en promouvant le tourisme et les activités de loisirs, pour ne citer que ces secteurs. L’Afrique offre de salutaires exemples de coopération aboutie entre pays maritimes, côtiers et riverains, ou de résolution pacifique des litiges. Ces modèles comptent des cas de délimitations et démarcations transnationales du domaine maritime. Une approche collaborative de la mise en œuvre de l’économie bleue permettra une formulation commune d’une vision partagée de la transformation socioéconomique du continent.
L’approche de l’économie bleue comme moteur du développement est inscrite dans le projet de l’Union africaine intitulé « Agenda 2063 — L’Afrique que nous voulons ». Nous observons que de plus en plus d’États africains formulent des stratégies d’économie bleue pour diversifier leurs économies et catalyser la transformation socioéconomique, en se basant sur leur expérience acquise de mise en œuvre des principes de l’économie verte pour une transition vers une économie bas carbone.
Basé sur l’avant-propos de *L’économie bleue en Afrique : guide pratique. Une version abrégée de ce blog a été publiée, en anglais, par le Centre de développement de l’OCDE https://oecd-development-matters.org/2016/06/07/africas-blue-economy-an-opportunity-not-to-be-missed/