Une femme africaine a été mariée pendant 13 ans et chaque jour de ces 13 ans, elle a travaillé dur avec son mari pour cultiver le petit lopin de terre qu'il possédait et faire pousser des légumes qu'elle vendait ensuite au marché. Le malheur a frappé et son mari est mort, la laissant seule se débrouiller pour leurs deux petites filles. Quatre jours après l'enterrement de son mari, la famille de ce dernier l'a expulsée, prenant possession de la terre et de la maison, et la laissant démunie. Sans aucun moyen de recours pour récupérer les terres, ni aucun bien à son nom, elle a arrêté de se battre pour tout récupérer. Elle cherche maintenant à reconstruire sa vie et travaille comme salariée agricole. Sa fille aînée a arrêté d'aller à l'école car les frais de scolarité sont trop élevés. Inquiète de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants, elle envisage un mariage précoce pour sa fille aînée, ce qui risque de compromettre le rêve de l'enfant de devenir enseignante. Voyons pourquoi.
Les instruments internationaux et régionaux mis en place pour faire progresser l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes sont censés être un fondement pour pouvoir demander des comptes, adopter des lois contre la discrimination et élaborer des politiques responsables à l'égard des femmes et de l'ensemble de la société. Un effort concerté et la collaboration entre les législateurs et les autres branches du pouvoir sont essentiels. Ce n'est un mystère pour personne qu'à elles seules, les lois et les politiques n'apportent pas toujours les changements voulus. Certes, elles forment le cadre normatif de la protection et de l'appui qu'offre la puissance publique, et elles posent les fondements de l'engagement des parties prenantes, mais elles ne peuvent être isolées des autres avancées socioéconomiques.
Bien qu'aucune étude disponible ne fasse la corrélation entre les progrès réalisés en termes d'égalité sociale et d'égalité de représentation dans les organes législatifs, nous savons tous que cette dernière est le signe d'une forte opinion publique favorable à la reconnaissance de la diversité. Si nous voulons changer le sort de la femme africaine que je décrivais, nous avons besoin de lois porteuses de transformation: des lois qui régissent l'héritage, ainsi que l'accès aux biens et au capital; des lois qui donnent une chance égale aux filles et aux garçons; des lois qui protègent les enfants d'un mariage précoce. Inutile de dire que cela ne suffira pas sans les conditions socio-économiques issues d'une juste interprétation contextuelle. Sinon l'exercice sera vain et au mieux, un vœu pieu. La présence de femmes parlementaires dans ces processus critiques est une évidence. En tant que mères et soignantes, elles ont été confrontées à des situations que leurs collègues masculins ne connaissent que par leurs lectures et évaluations.
Au cours des vingt dernières années, les parlements du monde entier ont enregistré une présence croissante des femmes, et l'Afrique n'a pas fait exception. En 2012, 11 États africains figuraient parmi les 36 États dont le parlement avait atteint le seuil de 30 % de sièges occupés par des femmes, proportion qu'on estime nécessaire pour que la voix des femmes soient prise en compte dans les décisions. Parmi les pays comptant le plus grand nombre d'élues au parlement, sept sont africains et le Rwanda vient en première position: en 2014, 64 % des sièges de la Chambre des députés et 38 % des sièges du Sénat étaient occupés par des femmes. Avec de tels chiffres, le Rwanda a dépassé les objectifs de parité entre les sexes énoncés dans le Programme d'action de Beijing et le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique, ce qui est une réussite historique.
L'Union interparlementaire indique en effet que la proportion de femmes dans les parlements africains a augmenté; elles occupent en effet 49 % des sièges parlementaires en Namibie, 44 % aux Seychelles, 43 % au Sénégal, 42 % en Afrique du Sud, 40 % au Mozambique, 37 % en Angola, 31 % au Burundi et encore beaucoup d'autres comme l'Algérie et la Tunisie avec plus de 30 %. Ces chiffres font de l'Afrique un continent très performant s'agissant d'assurer la représentation politique des femmes. Dans sept pays africains, au moins 30 % des ministres sont des femmes; Cabo Verde, au premier rang, compte 50 % de ministres de sexe féminin et se classe au deuxième rang mondial, après la Finlande où 63 % des ministres sont des femmes. L'Afrique du Sud, le Burundi, la Tanzanie et la Guinée-Bissau se classent également parmi les 20 pays au monde comptant le plus grand nombre de femmes ministres. L'adoption de modèles électoraux tenant compte de la problématique hommes-femmes, le recours aux mesures de discrimination positive et l'imposition de quotas ont permis d'assurer une participation globale des femmes allant jusqu'à 20 % dans les parlements africains.
L'arrivée des femmes au parlement et dans les autres branches du pouvoir a largement contribué à faire entendre leur voix s'agissant des questions qui concernent leur quotidien et façonnent leur destin. Leur montée en puissance à des postes ministériels dits « sensibles », tels que la défense, les affaires étrangères ou l'intérieur, a bousculé les stéréotypes qui voulaient que les femmes soient confinées à des postes ministériels moins en vue et s'occupent surtout des politiques sociales. L'Afrique commence à être fière de ses dirigeantes éminentes comme la Présidente libérienne, Ellen Johnson-Sirleaf, la Présidente centrafricaine, Catherine Samba-Panza, l'ancienne Présidente du Malawi, Joyce Banda, et plusieurs vice-présidentes dont la plus récente, Inonge Wina en Zambie. Bien entendu, l'une des personnalités africaines les plus en vue au plan international est la Présidente de la Commission de l'Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma. La présence de ces femmes aux plus hautes fonctions de l'État témoigne de l'évolution des mentalités sur le rôle des femmes en termes de gouvernance.
L'Afrique est passée du pessimisme à un continent qui choisit la croissance et la transformation. L'« heure de l'Afrique » est arrivée et il faut que les femmes parlementaires en tirent parti pour faire en sorte que les femmes et les filles profitent de cette dynamique. La combinaison d'une forte croissance économique et de l'amélioration de la conjoncture des affaires rend le continent attrayant pour l'activité économique. Les pays qui ont choisi de changer la base de leurs comptes nationaux ont découvert que leur économie était beaucoup plus forte qu'ils ne le pensaient. Au Kenya, au Nigéria, en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie, les données du produit intérieur brut, tel que révisé, révèlent que le secteur des services est l'élément le plus important des économies africaines, soit la moitié du PIB total au moins, tandis que les secteurs de la fabrication et de l'agriculture demeurent essentiellement inchangés ou ont perdu du terrain. Il y a là une occasion que les femmes se doivent de saisir.
La croissance du continent est impressionnante, mais elle n'a pas suffisamment contribué à la transformation sociale. Elle a beaucoup suscité l'exclusion, parce qu'elle a créé trop peu d'emplois et n'a pas assez concouru à améliorer les conditions de vie des citoyens. En effet, l'augmentation du niveau d'instruction des femmes et leur participation croissante au marché du travail n'ont pas été de pair avec de meilleures conditions d'emploi ou des perspectives d'avancement et d'égalité salariale. Au rythme actuel des progrès accomplis, l'Organisation internationale du Travail estime qu'il faudrait plus de 75 ans pour atteindre l'égalité de rémunération pour un travail de même valeur. Il n'y aura pas de pays africains dynamiques si les femmes et les filles, qui représentent la majorité de la population, restent marginalisées ou exclues. Il convient donc de se demander comment l'action législative peut remédier à cette situation.
Pour commencer, les politiques relatives au marché du travail pourraient renforcer l'accès à des revenus décents, en garantissant des salaires minimum suffisants et un salaire égal pour un travail de valeur égale. Ensuite, des politiques de protection sociale bien conçues pourraient augmenter la sécurité de revenu des femmes et renforcer leur voix.
Il est donc essentiel que les parlementaires axent leur action sur les secteurs qui seront les moteurs de la nécessaire transformation structurelle du continent. Cela signifie qu'il faut revitaliser le secteur industriel, notamment le secteur manufacturier et le secteur agro-industriel, et ajouter de la valeur aux industries extractives, avec des possibilités ouvertes pleinement aux femmes.
Le Rapport régional africain de Beijing+20 montre des progrès dans l'autonomisation économique des femmes dans les domaines de l'agriculture, des affaires et de la finance. Un certain nombre de pays ont fait d'énormes progrès depuis les années 1990 pour institutionnaliser des initiatives de budgétisation tenant compte de la problématique hommes-femmes. Ces initiatives sont indéniablement devenues un outil majeur de promotion de l'égalité des sexes. En 2012, plus de 20 % des pays africains avaient lancé de telles initiatives. L'Afrique du Sud et la Tanzanie ont été parmi les pionniers de ce type de budgétisation en Afrique. En 1996, des organisations non gouvernementales sud-africaines ont établi un partenariat avec des membres du Parlement et ont lancé conjointement la South African Women's Budget Initiative, qui a été citée comme l'une des initiatives les plus réussies et mieux institutionnalisées. L'Éthiopie, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie ont également pris en compte des préoccupations sexospécifiques dans leurs budgets nationaux.
Malgré ces progrès isolés, les inégalités entre hommes et femmes et l'autonomisation des femmes exigent la formulation de politiques en amont et des efforts galvanisés pour combler les lacunes dans les secteurs encore à la traîne. Le premier défi consiste à exercer efficacement un rôle de surveillance pour assurer la formulation de lois soucieuses de ne faire aucun laissé pour compte et synonymes d'égalité entre hommes et femmes et d'avancées sociales, en particulier dans les secteurs de la production et de la transformation. Par exemple, il faut absolument mettre en place des politiques, des lois et des programmes visant à tirer parti des économies vertes et bleues et de la participation des femmes à l'économie pour faire face aux difficultés qu'entraînent les changements climatiques.
Le deuxième de ces défis est que les parlementaires travaillent tous ensemble, par-delà les frontières, et préconisent des cadres de politique qui répondent vraiment aux besoins. L'éventail des possibilités et de l'espace offert par les TIC et par un large nombre de plates-formes de connaissances facilite une communication rapide et le partage d'information.
Revenons-en à cette paysanne africaine, avec laquelle j'ai commencé mon discours. Elle est bien loin des gros titres du New York Times, qui annonçait récemment qu'un nombre croissant de femmes aux États-Unis vendent leur lait maternel et en font un produit de consommation. La maximisation du marché est encore un exemple qui montre que le monde a besoin d'une boussole. Les femmes parlementaires sont le plus à même de fournir cette boussole. Pour que la fille de cette paysanne puisse un jour aspirer à ne pas être simplement enseignante, mais peut-être même membre du parlement.