Une personnalité mythique de l’histoire africaine, le Marocain Ibn Battuta, que l’on considère comme l’un des plus grands voyageurs de tous les temps, est arrivé en Somalie en 1331. Surpris par la prospérité de Mogadiscio, il disait de cette ville portuaire qu’elle était peuplée de riches marchands, particulièrement actifs dans le domaine des exportations de tissus locaux de grande qualité vers de nombreux pays. Le Sultan, Abou Bakr Omar, avait mis en place une solide administration comprenant des vizirs, des juristes, des commandants et des percepteurs.
Le Mogadiscio d’aujourd’hui, six siècles plus tard, reste un port incroyablement actif, malgré des décennies d’une guerre civile dévastatrice. La ville continue d’exporter. Le problème est que, au lieu de tissus de qualité, elle exporte désormais des bovins, des moutons et des chèvres ou des produits à faible valeur ajoutée, comme disent les économistes. Le coût des fléaux de la guerre, de la piraterie au terrorisme, est supérieur au montant des exportations. Le Gouvernement actuel ne dispose pas d’un système de recouvrement de l’impôt aussi efficace que celui d’Abou Bakr Omar.
Comment est-il possible que l’un des rares pays à n’avoir qu’une seule langue, une seule religion et un seul groupe ethnique ait pu reculer autant et pendant si longtemps?
Les raisons de cette évolution tragique sont complexes mais l’on a certainement à apprendre de cette glorieuse Somalie, la majeure partie de l’Afrique ayant connu des conflits violents. En fait, le continent connaît aujourd’hui moins de troubles que l’Asie, et près de 90 % de sa population n’est plus exposée à la guerre ou à des situations d’urgence complexes. Même si l’image de l’Afrique s’est améliorée, le continent continue d’être perçu par beaucoup comme instable, peu sûr et vulnérable face à la maladie, comme l’a montré encore une fois l’hystérie autour d’Ébola. Le virus touche trois pays qui représentent moins d’un pour cent du PIB de l’Afrique, ou trois semaines de l’économie nigériane.
Les leçons à retenir de la Somalie, outre la nécessité d’aller vers un environnement pacifique et attrayant, ont davantage trait à l’économie.
Les Africains sont légitimement fiers de la croissance qu’ils ont enregistrée au cours des quinze dernières années, et de la façon dont leurs différentes économies ont résisté face aux chocs exogènes. Les perspectives que le FMI vient de publier en octobre sont éloquentes: l’Afrique dans son ensemble devrait enregistrer une croissance de plus de 5 % en 2014. Pourtant, et ce n’est pas étonnant, les Africains sont stupéfaits quand ils apprennent que la valeur ajoutée dans le secteur manufacturier a diminué au cours de la même période, alors qu’elle se trouvait déjà à un niveau très bas (elle s’élève actuellement à 9 % du PIB combiné). C’est l’une des raisons pour lesquelles nous appelons à la transformation structurelle, et que cela doit se traduire selon nous par l’amélioration de la productivité agricole, la modernisation et la formalisation du vaste secteur des services, une meilleure utilisation des très riches ressources naturelles du continent et, bien sûr, l’industrialisation.
Après deux ans de débats autour de la transformation structurelle et de ses impératifs, comme l’intégration régionale, le dividende démographique, les perspectives d’urbanisation ou encore les défis découlant des changements climatiques, le temps est venu de répondre vraiment à la grande question de savoir comment financer la transformation de l’Afrique. À l’ancienne, en suppliant pour obtenir de l’aide? Existe-t-il un autre moyen? Comment l’Afrique doit-elle se préparer pour la grande Conférence de l’ONU sur le financement du développement, qu’elle accueillera à Addis-Abeba en 2015? C’est un débat qui revêt plus d’importance pour l’Afrique que pour toute autre région?
L’Afrique a tiré les enseignements de la débâcle financière de 2008 et compris l’importance de prendre appui sur une base solide. Il faut pour cela un changement de paradigme dans l’esprit des gestionnaires de fonds, en particulier s’agissant de la façon est perçue l’Afrique sur les marchés des capitaux.
L’expérience du capital-investissement en Afrique a démontré que les bénéfices ne se limitent pas aux commanditaires, aux commandités et aux sociétés d’investissement; l’Afrique en profite aussi par l’intermédiaire des marchés locaux et régionaux. Il se peut qu’elle ait, en fin de compte, trouvé le moyen d’aiguiser l’appétit des investisseurs privés. Le capital-investissement est une autre source de capitaux, qui peut s’appliquer aux infrastructures, aux services de santé, à l’agriculture et aux secteurs mal desservis mais à haut rendement. Chaque exemple de réussite ouvre des perspectives nouvelles et montre de façon éclatante la transformation de l’Afrique.
La capacité de renforcer, mobiliser et préserver les capitaux en Afrique correspond à la recherche de mécanismes de financement innovants sur ce continent. Ces dernières années, les gouvernements africains ont contribué activement à la modification des possibilités d’investissement. L’aide n’est plus la panacée. Cette évolution va de pair avec des politiques reposant sur des bases concrètes. L’activité économique prospère grâce à la multiplicité des sources de capitaux. À mesure que la réputation de l’Afrique grandit sur les marchés des capitaux au niveau mondial, chaque initiative particulièrement réussie fait du continent une destination de choix pour les flux mondiaux de capitaux. On attend de gouvernements dotés d’une vision stratégique qu’ils se servent de ces capitaux pour financer des projets de transformation.
Bien que les infrastructures soient l’élément clef du programme de transformation, il existe en Afrique des perspectives d’investissement dans des secteurs tels que le transport routier et ferroviaire, l’énergie, l’eau, l’exploitation des ressources minières, l’agro-alimentaire et le développement industriel. La possibilité offerte aux investisseurs de diversifier leur portefeuille n’est pas négligeable, mais elle demeure un défi compte tenu de l’absence marquée de liquidités et l’accès limité aux marchés de capitaux. Les organismes de réglementation africains doivent instaurer un véritable dialogue avec les fonds d’investissement pour bien comprendre les règles à respecter sur les plans juridique et réglementaire pour promouvoir un écosystème dynamique en Afrique.
Les gouvernements africains ont des responsabilités à assumer afin de créer un environnement porteur. Il convient d’améliorer les écosystèmes aux niveaux national, régional et continental pour encourager davantage les investissements à grande échelle. L’Afrique a fait des progrès considérables et son environnement économique et politique est de plus en plus stable et prévisible. La réduction des risques politiques et économiques renforce la confiance des investisseurs. Les initiatives prises par les gouvernements en matière de transformation structurelle s’appuient sur un nombre croissant d’individus ayant la formation requise et l’esprit d’entreprise.
Le vrai critère est la confiance que les capitaux accorderont à l’Afrique, en résistant à la tentation d’une expérience sans lendemain. La réalité est que l’Afrique ne peut compter sur l’aide au développement pour se transformer; elle s’oriente donc vers l’investissement privé et la mobilisation des ressources nationales.
Dans un monde en pleine mutation, il n’est plus possible pour les gouvernements de faire abstraction de la distinction de plus en plus floue entre le secteur privé et le secteur social. Les investissements d’impact axés sur l’amélioration des résultats peuvent concrétiser les désirs de la société.
Par exemple, il est vrai que pour les Africains, la sécurité alimentaire et le développement d’une agriculture durable constituent toujours un défi majeur. Plus particulièrement, le secteur agricole en Afrique manque des capitaux nécessaires pour améliorer la productivité et les rendements et produire davantage pour la consommation locale. Des études montrent que la croissance du secteur agricole a trois fois plus d’impact sur la réduction de la pauvreté que la croissance d’autres secteurs.
Le financement climatique offre des perspectives uniques pour faire face aux changements climatiques et redéfinir la position de l’Afrique comme étant un producteur plus propre, en contournant les plates-formes technologiques et en exploitant le potentiel exceptionnel d’énergies renouvelables dont est doté le continent.
La mobilisation des ressources nationales a un potentiel immense. Qu’il s’agisse de mieux négocier les contrats d’exploitation des ressources minières ou d’autres ressources naturelles, d’améliorer la fiscalité ou de mieux utiliser les fonds souverains et les réserves des pays, l’Afrique a souffert du manque de politiques appropriées.
Les flux illicites de capitaux sont un autre scandale sur lequel nous devons nous pencher de plus près. Si le continent se trouve tout en bas de l’Indice de transparence, c’est tout autant en raison de la situation actuelle qui sert les intérêts de ceux qui établissent le classement que de ceux qui profitent de la corruption dans les pays. Le fait de dénoncer les flux illicites de capitaux est non seulement un impératif moral; cela contribue aussi à l’élaboration de politiques de transformation.
Les migrants africains envoient plus de 50 milliards de dollars des États-Unis et, outre le sacrifice que cela représente pour eux, ils paient les commissions de transfert les plus élevées du monde. À l’heure actuelle, l’utilisation de cette catégorie d’actifs est loin d’être productive. À de rares exceptions près, les pays bénéficiaires ont encore beaucoup à faire pour trouver des moyens intéressants d’utiliser ces fonds.
En 2012, les investissements d’impact ont représenté environ 8 milliards de dollars dans le monde et un tiers d’entre eux sont allés en Afrique. Il s’agit là d’une nouvelle source novatrice de financement qui pourrait bien devenir un complément important des placements traditionnels. Les investissements d’impact peuvent avoir des effets positifs directs et indirects sur le développement humain dans des domaines tels que l’éducation, la santé et l’environnement.
Mon rêve est que les enfants africains, lorsqu’ils étudieront les expéditions d’Ibn Battuta en histoire, se sentent comme tous les autres enfants des pays développés et modernes de la planète. Les enfants africains doivent s’émerveiller non seulement des nombreux voyages effectués par Ibn Battuta, mais aussi du long chemin parcouru par leur propre pays, et ils sauront alors que leur continent, l’Afrique, est le nouvel eldorado. Ce rêve est à notre portée, ce rêve peut devenir réalité.