Suite aux attentats des derniers mois, la Banque centrale de Tunisie a revu ses estimations de croissance pour le pays ; elle serait limitée à 1 % en 2015. Ce ralentissement provient d’une part de la conjoncture sécuritaire, mais de manière plus structurelle de l’atonie de la demande extérieure adressée à la Tunisie, dont 64 % des échanges commerciaux se réalisent avec l’Union européenne (UE).
À partir des années 1980, la Tunisie a cherché à s’intégrer au marché et aux chaînes de valeur européens, afin d’attirer les industries textiles, mécaniques, automobiles, plasturgiques et aéronautiques. La stratégie était basée sur une croissance soutenue en Europe et la compétitivité basée sur sa proximité avec le Vieux Continent, un coût de la main-d’œuvre peu élevé, et une fiscalité incitative. Cette orientation vers l’Europe au détriment de l’Afrique pouvait être justifiée en cette période du fait que le continent africain ne constituait pas un marché à fort potentiel : une croissance faible (à peine supérieure à 2 %), et des problèmes récurrents dans le cadrage macroéconomique.
Aujourd’hui, ce positionnement joue doublement à l’encontre de la Tunisie, car le pays souffre non seulement du ralentissement économique de son principal partenaire économique, mais reste globalement à l’écart du marché africain.
L’un des plus importants changements, dans l’organisation de la production et du commerce mondiaux qui a eu lieu, au cours des deux dernières décennies, est l’importance croissante des chaînes de valeurs globales, dans la gestion et la coordination de la production et des liens commerciaux entre les pays. Cela inclut une tendance à la fragmentation de la production et à davantage de commerce entre les pays. Les pays en développement ont amorcé leur changement en matière de gouvernance de la production.
Un moyen de faire face à ces changements est de développer de manière coopérative des chaînes de valeur régionale, aussi bien au Nord que sur le reste du continent, qui permettront de créer de nouveaux avantages comparatifs dynamiques et d’accélérer la diversification stratégique et la sophistication des économies.
Aujourd’hui la croissance africaine est forte. Elle s’appuie sur la consommation privée et l’investissement est porté par un élargissement de la classe moyenne. D’ici à 2020, plus de 30 millions d’Africains vont rejoindre la classe moyenne et consacrer plus de la moitié de leurs revenus à des dépenses autres que le logement et la nourriture. Cette demande dynamique est un formidable levier pour la transformation structurelle des économies de la région, avec une demande croissante de produits manufacturés et services divers. On le voit, les leviers de la transformation structurelle de la Tunisie sont bien en Afrique.
S’ouvrir au commerce intra-africain
Malheureusement, la Tunisie n’est pas parmi les pays africains les plus intégrés au reste du continent. En termes de parts des exportations africaines par rapport au PIB, elle se classe au 29e rang sur le continent. En termes d’investissement, alors qu’elle s’est dotée d’un environnement réglementaire parmi les plus favorables en Afrique (4e en termes de démarrage et d’exploitation d’une entreprise locale), la Tunisie se classe au 28e rang sur le continent en matière d’attractivité des investissements étrangers. De ce fait, lorsqu’il s’agit de s’inscrire dans des chaînes de valeur régionales, la Tunisie se classe 21e en termes de part totale des exportations de biens intermédiaires intra-africains.
Une étude que la CEA vient de mener avec l’Onudi a évalué l’impact pour la Tunisie et l’Afrique du Nord de différents accords commerciaux stratégiques sur les produits exportés.
Ainsi, l’accord de libre-échange continental (CFTA) dont les négociations ont été lancées en juin 2015 au Caire, pour une entrée en vigueur en 2017, va essentiellement promouvoir les exportations tunisiennes de produits manufacturés. Ces produits représenteraient près de la moitié des exportations (48 %) qui devraient augmenter à 2,3 milliards $ (+6,8 %) d’ici à 2020. Ce chiffre serait doublé (4,4 milliards $) si des mesures de facilitation du commerce sont décrétées, améliorant de 25 % l’efficacité des opérations administratives liées au commerce. Avec ces réformes, la part des produits manufacturés dans les exportations de la Tunisie vers le continent augmenterait encore davantage et serait majoritaire.
Un accord de même nature avec les autres pays de la Ligue arabe favoriserait les exportations de produits miniers, alors qu’un approfondissement de l’accord d’association avec l’UE favoriserait plutôt les exportations de produits agricoles.
Ces résultats indiquent clairement que la Tunisie, comme les autres pays de la région, doit séquencer la mise en œuvre des accords commerciaux de manière stratégique en privilégiant ceux qui vont développer leur capacité à exporter des produits industriels manufacturés de plus en plus sophistiqués, créant des emplois modernes et urbains. Ceci passe également par des réformes de facilitation du commerce et de l’investissement dans les infrastructures matérielles et immatérielles, qui soient orientées prioritairement vers le commerce intra-africain.
Le tourisme reste un atout
À ce titre, la Tunisie ne tirera pleinement profit de l’accord de Bali de l’OMC (portant essentiellement sur la facilitation du commerce) que si les réformes préconisées servent d’abord à renforcer l’intégration régionale, au Maghreb et sur le reste du continent.
Enfin en matière de services, la Tunisie a sa carte à jouer au niveau continental. Tout d’abord au niveau du tourisme. En matière d’entrées touristiques, le choc des attentats a été atténué par des entrées touristiques régionales, notamment en provenance de l’Algérie. Sur une période plus longue, on observe les mêmes tendances. Entre 2010 et 2015, les entrées d’Européens ont diminué de 45,2 % alors que sur la même période, les entrées d’Algériens ont progressé de 35,6 %. Ceci illustre parfaitement la nécessité pour la Tunisie de réorienter sa stratégie vers une clientèle continentale, dont le volume et le pouvoir d’achat connaissent une dynamique sans précédent. À titre de comparaison, 72,5 % des entrées touristiques en Afrique du Sud, une des principales destinations africaines, proviennent du continent.
Le développement du tourisme se base avant tout sur un secteur du transport aérien performant et une stratégie de marketing et de présence sur les principaux marchés émergents. Tunisair, la compagnie aérienne tunisienne, ne couvre qu’une quinzaine de destinations en Afrique dont seulement cinq en Afrique subsaharienne. De son côté, Royal Air Maroc couvre plus d’une trentaine de destinations, dont 27 pays au-delà de l’Afrique du Nord.
La Tunisie dispose également d’atouts dans de nombreux secteurs et segments de services à forte valeur ajoutée, comme le tourisme médical, l’éducation supérieure, l’ingénierie et le conseil, qui lui permettraient de capter une part non négligeable de ces marchés en pleine expansion. Les exemples se multiplient, mais le message reste le même : l’avenir économique de la Tunisie est bel et bien en Afrique.
*Cet article est paru dans le hors-série de novembre/décembre du magazine African Business