Le petit producteur agricole, plus que quiconque en prise directe avec les services écosystémiques, est un acteur crucial de l’avenir agricole africain. Il contribue à la réduction de la pauvreté et à la sécurité alimentaire dans les zones rurales en particulier. Il est décevant qu’il soit souvent exclu des débats relatifs aux investissements agricoles. Cette exclusion est encore plus prononcée dans le débat sur les investissements fonciers à grande échelle en Afrique.
L’Afrique représente aujourd’hui 45 % des investissements fonciers à grande échelle dans le monde, suivie par l’Asie avec 37 %. À l’échelle du continent, les dix premiers pays visés par les investisseurs locaux et internationaux comptent pour 70 % des contrats fonciers conclus, et pour 54 % des accords d’investissements fonciers à grande échelle. La majorité de ces transactions en Afrique, soit 73 %, sont le fait d’investisseurs étrangers. L’intérêt suscité par ce type d’investissements est principalement motivé par les enjeux de la sécurité alimentaire dans le monde, mais tient aussi dans une mesure non négligeable à l’industrie, à la foresterie, à la conservation et au tourisme. L’investissement combiné dans l’agriculture et l’élevage totalise 87 % de toutes ces transactions.
Malgré le niveau élevé des Investissements fonciers à grande échelle effectués dans l’agriculture, la part des terres consacrée à la culture vivrière est faible. Les investissements agricoles à grande échelle dans les biocarburants et d’autres cultures à vocation industrielle monopolisent une quantité substantielle de la surface arable. Or, si l’Afrique veut assurer sa sécurité alimentaire, elle doit consacrer la plus grande partie de ses terres agricoles à la culture alimentaire.
S’il est vrai que la culture à grande échelle, l’agro-industrie et l’agribusiness sont autant de moyens de résorber l’écart de rendement enregistré par l’agriculture africaine, et de favoriser la création d’emplois pour les jeunes, sans compter qu’ils sont aussi susceptibles d’augmenter le commerce intra-africain et d’améliorer l’infrastructure, la mécanisation, la productivité et l’accès aux marchés, il reste que les investissements de ce type sont aussi chargés de risques, car les acquisitions se réalisent dans un cadre de gouvernance et d’orientation qui favorise grandement l’investissement étranger en ne répondant que très peu aux intérêts des communautés locales.
Faute d’assurer le multipartisme durable dans la prise de décisions, le respect des droits de l’homme et des droits de propriété, le contrôle des investissements, ainsi que la responsabilisation et la transparence des transactions foncières, il faut craindre que le continent ne voie ses sources d’eau compromises, son agriculture familiale et sa petite production vivrière menacées, et les droits de propriété de ses utilisateurs locaux mis en péril. Il est essentiel de maintenir l’équilibre entre les besoins du marché et les intérêts du développement, de l’environnement et de la société. Les petits producteurs sont cruciaux à cet égard.
Les pays africains ont l’occasion d’inscrire l’agriculture à l’ordre du jour de leurs programmes nationaux. Ils doivent encore remplir l’engagement qu’ils ont pris en 2003, aux termes de la Déclaration de Maputo, de porter à un modeste 10 % la part de leur budget national qu’ils consacrent à l’agriculture, et d’augmenter d’au moins 6 % leur productivité agricole. En moyenne, la part des dépenses publiques réservée à l’agriculture dépasse à peine les 5 %. Ce sous-investissement des gouvernements africains dans le secteur agricole a créé un environnement propice à l’investissement foncier non coordonné.
La réussite des investissements agricoles à grande échelle en Afrique dépendra en grande partie de la mesure dans laquelle les pays du continent entreprendront de réformer leurs politiques et leur gouvernance foncières. De telles réformes doivent être axées sur l’instauration de systèmes fonciers inclusifs. Outre qu’ils renforceraient les droits de propriété des communautés locales, des femmes et des jeunes, de tels régimes accroîtraient aussi le développement économique, favoriseraient l’égalité des sexes et encourageraient jeunes femmes et jeunes hommes à se lancer dans l’activité agricole. Des systèmes fonciers inclusifs iraient aussi dans le sens d’une utilisation plus efficace de la terre, d’une meilleure atténuation des effets des changements climatiques, et de la transformation économique de l’Afrique.
Heureusement, certains pays ont mis sur pied des processus d’élaboration et de mise en œuvre de politiques foncières tendant à rendre les régimes fonciers plus inclusifs et sûrs. L’Initiative conjointe de la Commission de l’Union africaine, de la Commission économique pour l’Afrique et de la Banque africaine de développement sur les politiques foncières est l’institution mandatée par les chefs d’État et de gouvernement africains pour mobiliser les efforts en faveur de la création, de l’application et du contrôle des politiques foncières. Dans l’accomplissement systématique de son mandat, l’Initiative sur les politiques foncières est guidée par la Déclaration de l’Union africaine sur les problèmes et enjeux fonciers en Afrique, laquelle préconise l’application aux processus de politique foncière des Cadre et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique.
Lorsque les États africains investissent dans le bon aménagement et la bonne utilisation de leurs terres, conformément aux Principes directeurs relatifs aux investissements fonciers à grande échelle en Afrique, ils se donnent l’occasion de mieux répondre aux besoins alimentaires de leurs populations, de réduire la pauvreté et d’accélérer la transformation structurelle de leurs économies rurales. Ils franchissent en outre un pas décisif sur la voie du développement durable en mettant un accent nouveau sur l’amélioration des conditions de vie rurales par la sécurité d’occupation des terres, l’amélioration de l’accès aux biens fonciers, la planification poussée de l’utilisation et du zonage des terres, et le recours à des pratiques agricoles innovantes.
Le présent article a été publié par Mail & Guardian le 13 novembre 2014.