Allocution d’ouverture de M. Carlos Lopes

 

RÉUNION MINISTÉRIELLE DE LA CONFÉRENCE RÉGIONALE AFRICAINE SUR L’EXAMEN PEKIN +20

 

Allocution d’ouverture de M. Carlos Lopes, Secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies et Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique

 

19 novembre 2014, Addis-Abeba (Éthiopie)

 

Madame Nkosazana Dlamini-Zuma, Présidente de la Commission de l’Union africaine, in absentia, ici représentée avec brio par l’Ambassadeur Febe Potgieter-Gqubule

Madame Geraldine Fraser-Moleketi, Envoyée spéciale de la Banque africaine de développement sur les questions de genre,

Madame Lakshmi Puri, Directrice exécutive adjointe d’ONU-Femmes,

Mesdames et les Ministres, Excellences,

Mesdames et Messieurs,

 

La salle est pleine d’émotions! Bienvenue à la réunion ministérielle de la Conférence régionale africaine sur l’examen de Pékin +20. Votre présence ici aujourd’hui reflète clairement l’engagement que nous avons pris de parvenir à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes en Afrique. Cette réunion nous offre également une tribune pour convenir d’une position africaine pour l’examen mondial du Programme d’action de Pékin.

Je tiens à souligner la coopération établie pour la tenue de cette conférence avec la Commission de l’Union africaine et avec ONU Femmes, qui sont nos partenaires pour l’examen de Pékin +20, et je remercie tous les autres fonds, institutions et programmes des Nations Unies pour leurs contributions. Je souhaite aussi saluer la présence de ma sœur, Gertrude Mongella, qui a conduit les consultations aux niveau régional et international ayant mené à la Conférence de Pékin. Elle est la vraie mémoire de la journée.

Considéré comme l’un des cadres normatifs les plus audacieux et les plus progressistes jamais adoptés pour accélérer la promotion des femmes et assurer l’égalité des sexes, le Programme d’action de Pékin repose sur de nombreuses contributions, émanant notamment du continent, telles que les Stratégies prospectives de Nairobi pour la promotion de la femme ou la Plate-forme d’action de Dakar. Nous ne devons pas perdre de vue que l’égalité des sexes n’est pas un choix, mais un droit humain fondamental que nous devons préserver. Cela exige donc de mener cet examen avec courage. Comme à la CEA nous sommes plutôt des économistes permettez-moi de souligner quelques faits.  

Mesdames et Messieurs,

Les efforts de l’Afrique pour traduire certaines des promesses de Beijing en actions sont encourageants. Aujourd’hui, les femmes africaines sont plus instruites que jamais et plus de petites filles sont scolarisées. La mise en œuvre audacieuse de politiques a grandement contribué à augmenter le taux global de scolarisation et à gommer les disparités entre les sexes dans certains pays. La première année de suppression des frais de scolarité pour l’enseignement primaire au Malawi a permis d’augmenter le taux de scolarisation de 68 % et d’asseoir plus de filles que de garçons sur les bancs de l’école. Dans l’enseignement secondaire, la plupart des pays d’Afrique australe sont parvenus à la parité des sexes. Cependant, c’est en Afrique de l’Ouest que l’on observe actuellement les plus grands progrès.

Nous le voyons, la parité dans l’enseignement augmente. Cependant, sur les 43 pays pour lesquels des données sont disponibles, seuls 12 sont parvenus à la parité des sexes dans le secondaire et l’indice de parité est plus élevé chez les populations à revenu élevé. Pour pallier ces inégalités, nous devons de toute urgence traiter les questions du mariage des enfants, du coût élevé et de la mauvaise qualité de l’éducation, et offrir aux femmes plus de possibilités et de perspectives de suivre des études supérieures. Ce n’est qu’en valorisant les compétences des jeunes, notamment des filles, et en investissant dans leur éducation que le continent pourra tirer profit de son dividende démographique, un premier pas vers de bien meilleures conditions de vie.

En matière de participation et de représentation, la proportion de femmes dans les processus de prise de décision a progressivement augmenté en Afrique, en particulier au niveau des parlements nationaux. Les 64 % de femmes députées au Rwanda sont une avancée historique. Le pays occupe le premier rang mondial pour l’indicateur de participation des femmes. C’est un exemple à suivre pour tous et de nets progrès sont réalisés. Depuis 2012, sept pays africains comptent au moins 40 % de femmes ministres et entre 10 et 20 % des sièges parlementaires sont occupés par des femmes dans 24 pays. Le Cabo Verde compte plus de femmes que d’hommes ministres. L’Afrique est fière des éminentes personnalités que sont les présidentes Ellen Johnson-Sirleaf et Catherine Samba-Panza, ainsi que l’ancienne présidente Joyce Banda. Mme Nkosazana Dlamini-Zuma est également une source d’inspiration pour les femmes du monde entier.

Dans le domaine de la santé, le taux de mortalité maternelle a chuté de 47 % entre 1990 et 2013. S’il y a lieu de se réjouir de cette réduction importante, le taux de mortalité reste cependant élevé. De nos jours, compte tenu des progrès de la science et des avancées médicales, il est inacceptable au point de vue moral que des vies soient emportées par des maladies évitables. La santé en matière de sexualité et de procréation reste un sujet de préoccupation. Nous devons également œuvrer davantage sur ce front.

Les femmes ne possèdent toujours pas plus que 25 % des terres, bien qu’elles soient l’épine dorsale du secteur agricole. Nous savons trop bien qu’être propriétaire des actifs agricoles, comme les terres, accroît la production agricole et influe de manière décisive sur la sécurité alimentaire et l’autosuffisance, ce qui est essentiel dans les zones rurales où les femmes représentent la moitié de la main-d’œuvre agricole. La FAO a constaté que le comblement du fossé entre les sexes dans le secteur agricole à lui seul pourrait permettre à 150 millions de personnes d’échapper à la faim.

Les disparités salariales entre les hommes et les femmes restent extrêmement élevées. Dans certains pays africains, le salaire des femmes correspond à moins de 60 % de celui des hommes pour des emplois similaires. Des disparités s’observent aussi au niveau des possibilités d’emploi. Par exemple dans le secteur non agricole, le taux d’emploi des femmes n’est que de 22 %, par rapport à 37 % en Amérique latine et dans les Caraïbes ou 36 % en Asie de l’Est. En dépit du rôle essentiel qu’elles jouent dans l’économie, les femmes ne sont pas encore pleinement intégrées dans certains des secteurs les plus productifs tels que l’agro-industrie ou les industries extractives. Notre rapport de 2014 sur les OMD indique qu’une augmentation de 1 % de l’écart entre les sexes réduit jusqu’à 0,49 % la production par travailleur dans les pays africains. Cela se traduit par une perte économique annuelle de plus de 60 milliards de dollars des États-Unis.

En ce qui concerne les actes de violence à l’égard des femmes, nous ne pouvons nous permettre d’adopter une attitude défensive. C’est une tragédie et elle signale une tendance inquiétante. Selon une étude de la CEA menée en 2011, l’incidence de la violence à l’égard des femmes dans certains pays africains peut être jusqu’à cinq fois plus élevée que dans certains pays développés. Tout aussi inquiétant, les actes de violence contre les femmes, là où ils sont signalés, sont en hausse. On estime que ces actes ont un coût représentant entre 1 et 12 % du PIB. Le coût mensuel de la violence à l’égard des femmes est 20 fois celui des dépenses médicales moyennes des ménages.

Mesdames et Messieurs

Au fil des 20 années qui ont suivi l’adoption du Programme d’action de Beijing, le contexte global du développement a changé. L’Afrique est en train de devenir la plaque tournante de la croissance économique mondiale. Cela a été mis en évidence par la croissance vigoureuse du continent malgré une performance mondiale modérée. La croissance du continent a atteint environ 5 % au cours de la dernière décennie.

L’Afrique n’a pas été capable de lancer des transformations à grande échelle pour répondre aux exigences économiques. En l’absence d’emplois, d’inclusion et de répartition sociale, les bonnes nouvelles sont limitées. Nous ne pourrons bâtir des économies africaines dynamiques si nos femmes et nos filles, qui constituent la majorité de la population, continuent d’être marginalisées ou exclues. En dépit des progrès réalisés en termes d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes, nous avons encore un long chemin à parcourir. L’Afrique peut, et doit, faire mieux.

Dans cet esprit, la CEA lance une initiative d’envergure continentale pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, telle qu’approuvée par la Conférence conjointe des ministres des finances et du développement économique de l’Union africaine et de la CEA, qui s’est tenue à Abuja cette année. Cette initiative repose sur trois composantes étroitement liées, à savoir l’autonomisation économique, les droits des femmes et le secteur social. Les interventions appuieront le programme structurel de l’Afrique, en particulier le pouvoir de négociation socioéconomique des femmes et leur participation à la transformation structurelle, en s’inspirant de recherches, de données et d’analyses plus approfondies.

Il est clair qu’en raison des travaux inachevés, il nous faut prendre appui sur les progrès réalisés au cours des 20 dernières années. Nous devons concevoir un cadre plus transformateur, qui permettra d’accélérer le changement souhaité dans la vie des femmes et des filles. Il est indispensable d’investir en faveur de l’éducation, de la santé, des droits de propriété, de l’accès aux ressources financières et de leur contrôle, des connaissances et de l’information des femmes. La Position africaine commune sur les objectifs de l’après-2015 place l’égalité des sexes au cœur des objectifs prioritaires du continent.

Mesdames et Messieurs,

L’époque des simples allusions symboliques à l’autonomisation des femmes et à l’égalité des sexes est révolue. Personne n’aurait d’ailleurs jamais dû pouvoir s’y limiter impunément, mais, malheureusement, nous l’avons toléré pendant trop longtemps. Nous avons maintenant la possibilité de changer vraiment les choses. Faisant fond sur les progrès déjà accomplis, rechargeons nos batteries pour mieux poursuivre la lutte.

Je vous remercie, obrigado, shukran