14 Mars 2013
La première phase de la planification du développement en Afrique, correspondant aux années 60, était caractérisée par une planification centralisée, articulée autour de plans d’une durée de trois à cinq ans. Pendant cette période, au moins 32 pays africains s’étaient dotés d’un plan de développement national.
La première génération des plans de développement a existé jusqu'aux années 80. Ces plans défendaient une économie pilotée par l'État, les ressources étant allouées par les pouvoirs publics. C'était en particulier l'époque des entreprises d’État, présentes dans la plupart des secteurs productifs.
Les plans de développement de l'Afrique dans les années 60 n’ont toutefois pas été très concluants et ce pour diverses raisons: indéniablement des déficiences inhérentes aux documents de planification, mais également des échecs dans la mise en œuvre, le caractère ambitieux des cibles fixées, des faiblesses institutionnelles et bureaucratiques, des chocs exogènes ou encore des facteurs politiques.
La deuxième phase de l'évolution de la planification Afrique a été marquée par l'abandon complet de la planification dans le cadre des programmes d'ajustement structurel d'inspiration néolibérale, apparus dans les années 80 et 90 avec l'appui des institutions de Bretton Woods. Ces programmes avaient pour objectif de réduire le rôle de l'État dans la production et les services et mettaient l'accent sur la stabilité macroéconomique, la réduction de la taille du secteur public et les privatisations, ainsi que sur la réduction des dépenses publiques et des déficits budgétaires.
Le coût social des programmes d'ajustement structurel est bien triste: la réduction de la taille des institutions du secteur public et des privatisations massives ont conduit à des pertes d'emplois nettes. Les restrictions budgétaires ont compromis la prestation de services sociaux et la mise en valeur du capital humain et, plus important encore, les programmes d'ajustement structurel n'ont pas réussi à donner les résultats attendus au plan de la croissance étant donné que la croissance économique de l'Afrique au cours des années 90 n’a été que de 2,1 % en moyenne.
Ces expériences de planification ont montré aux décideurs qu'il était nécessaire d'élargir le programme de réforme du secteur public et elles les ont rendus conscients de l'importance d’institutions solides dans le processus de développement, en particulier dans le contexte nouveau de la mondialisation.
Au début des années 2000, les programmes d'ajustement structurel ont été remplacés par des stratégies de réduction de la pauvreté, qui visaient à atténuer les effets négatifs de dix ans d'ajustement structurel sur le niveau de vie et les conditions sociales. Les documents de stratégies pour la réduction de la pauvreté (DSRP) accordaient une place prépondérante à la réduction de la pauvreté, posée comme condition pour l'allégement de la dette. De nombreux pays africains ont lancé au moins deux générations de DSRP, principalement pour répondre aux critères d'éligibilité relatifs à l'allégement de la dette.
Malgré le principe d'appropriation et les consultations sous-jacents aux DSRP, ces derniers manquaient de crédibilité en raison de la nature extérieure du processus. En outre, ils tendaient à accorder une importance disproportionnée au secteur social au détriment du secteur productif, ce qui mettait en question la durabilité du programme de réduction de la pauvreté.
Au cours des dix dernières années, on est revenu avec un intérêt renouvelé à des plans plus généraux, allant bien au-delà des DSRP trop peu prévoyants. De nombreux pays africains ont ainsi adopté des visions de développement et des cadres de planification à long terme, assortis d'objectifs de croissance et de développement social beaucoup plus ambitieux.
Les stratégies nationales de développement vont désormais plus loin que l'objectif trop étroit de la réduction de la pauvreté et couvrent des objectifs tels qu'une accélération de la croissance, la création d'emplois, la transformation structurelle et le développement durable. Contrairement aux années 60, ces stratégies combinent approches étatiques et principes du marché et reconnaissent le rôle essentiel des secteurs public et privé dans le processus de développement.
De nombreux pays africains ont élaboré des visions à long terme à titre de guide vers ces objectifs ambitieux. Ces visions sont caractérisées par une plus grande appropriation par les acteurs africains et un processus consultatif et participatif faisant intervenir un large éventail de parties prenantes, y compris la société civile, le secteur privé, les entités décentralisées et les partenaires de développement.
Les plans nationaux de développements, plus généraux, prennent souvent en considération divers objectifs ou cadres de développement adoptés au niveau mondial et continental, comme le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD).
Il reste toutefois des obstacles à surmonter: il s'agit notamment de garantir la crédibilité des processus de consultation, de déterminer les priorités de financement conformément aux aspirations de développement, d'assurer la coordination des donateurs, de renforcer les capacités afin de mettre en œuvre les projets et les programmes et de concevoir des systèmes efficaces de suivi et d'évaluation utiles pour affiner le processus d'élaboration des politiques.
En bref, il est nécessaire de s’attacher à améliorer les cadres de planification en Afrique afin de traduire les aspirations et les priorités de développement en résultats concrets.
La CEA est déterminée à appuyer le renforcement des capacités des États membres pour concevoir, mettre en œuvre et suivre des cadres de planification efficaces. À cette fin, la Commission est en train de procéder à un exercice de repositionnement afin de mieux aligner ses activités avec les priorités du continent, dans l'objectif ultime de promouvoir la croissance économique et la transformation structurelle.
L'efficacité des systèmes nationaux de planification dépend dans une grande mesure de la qualité et de la disponibilité de données statistiques, qui facilitent la détermination des priorités et le suivi des résultats obtenus.
La CEA est consciente des difficultés que connaissent les États membres en ce qui concerne les statistiques et renforce actuellement ses structures et processus institutionnelles pour mieux aider les pays à cet égard. Notre capacité statistique sera multipliée par dix en un an. Nos bureaux sous-régionaux joueront un rôle important en accordant une plus grande priorité à la collecte et la compilation des données crédibles dont les pays ont besoin.
Un autre aspect important est la coordination. La coordination entre les ministères des finances et les ministères ou entité responsables de la planification du développement, entre autres, devrait faciliter le rapprochement des cycles de planification avec ceux du budget, garantissant ainsi une mise en œuvre efficace du plan national de développement.
Nous pouvons faire fond sur nos capacités de planification du développement en mettant au point des mécanismes d'enseignement par les pairs et de partage des expériences.
Pour ce faire, la CEA a créé un réseau de spécialistes de la planification du développement, comportant une plate-forme électronique qui centralisera la documentation actuelle liée à la recherche en matière de planification du développement. La plate-forme inclura également des forums de discussion, qui permettront des échanges d'idées ou d'expériences relatives à tous les aspects de la planification.
L'histoire tumultueuse de la planification du développement en Afrique fait la place à des perspectives plus positives pour l'avenir. On observe en effet quelques exemples de réussite parmi les pays africains qui, autrefois pays à faible revenu, se sont hissés dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire, comme le Botswana, le Cap-Vert, le Ghana et la Zambie.
En outre, des pays africains comme l'Éthiopie, le Nigéria et l'Ouganda ont adopté des visions et des cadres de planification du développement à long terme, assortis d’objectifs de croissance et de développement social beaucoup plus ambitieux, ainsi que de stratégies et de politiques plus détaillées que celles qui composaient généralement les DSRP.
L'Afrique est à un moment décisif de son parcours de développement et elle pourrait devenir un nouveau pôle de croissance mondiale. Pour cela, elle doit toutefois continuer de planifier son développement, accroître la marge de manœuvre et prendre des décisions prudentes s’agissant des stratégies nécessaires en vue de la croissance économique et de la transformation structurelle.
On entend souvent dire que l’absence de planification revient à planifier l’échec.
Notre expérience, passée et présente, nous dit que l'Afrique doit encore relever plusieurs défis dans le domaine de la planification du développement, mais nous savons également que s'ouvrent devant elle des possibilités de renforcement de l’élaboration, de la mise en œuvre et du suivi des stratégies nationales de développement.