Depuis que le fabricant de médicaments génériques à haute technologie Cinpharm-Cameroun s’est installé dans leur pays, il est devenu relativement facile pour les Camerounais de se procurer des médicaments. Un travailleur à bas salaire peut même avoir accès à une série d’antibiotiques moins chers que son homologue au Kenya. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, le coût d’un traitement à base de ciproflaxine d’une durée de sept jours représenterait près d’un mois de salaire au Kenya. Ce cas n’est malheureusement pas isolé sur le continent africain. En Ouganda, l’achat d’une seule multithérapie à base d’artémisine, qui traite le paludisme chez l’enfant âgé de moins de cinq ans, peut représenter 11 jours de revenu d’un ménage.
L’Afrique porte 25 % de la charge mondiale de morbidité, mais consomme moins de 1 % des dépenses mondiales de santé. Elle fabrique moins de 2 % des médicaments absorbés localement. Plus de 70 % des cas de VIH/sida et 90 % des décès causés par le paludisme surviennent en Afrique. De même, 50 % des décès des enfants de moins de cinq ans dans le monde ont lieu sur le continent, en raison essentiellement de causes néonatales, ainsi que de pneumonies, de maladies diarrhéiques, de la rougeole, du VIH, de la tuberculose et du paludisme. Il est tragique de constater que ces maladies peuvent être guéries et que la plupart des patients qui en meurent seraient sauvés s’ils pouvaient avoir accès, dans les délais, à des médicaments appropriés et abordables.
La capacité de l’Afrique en matière de recherche-développement pharmaceutique et de production locale de médicaments est l’une des plus faibles au monde. L’insuffisance des investissements dans ce domaine reste problématique. Dans l’ensemble, 37 pays africains ont une production pharmaceutique relative, mais seule l’Afrique du Sud a une production d’ingrédients pharmaceutiques actifs. La production locale repose ainsi sur des ingrédients actifs importés. En conséquence, l’offre de produits pharmaceutiques africains reste fortement tributaire des financements étrangers et des importations. Les importations étrangères couvrent ainsi 70 % du marché local des produits pharmaceutiques. D’après les données sur les importations et exportations mondiales, l’Inde a fourni à elle seule 17,7 % des importations pharmaceutiques de l’Afrique en 2011. Les estimations révèlent également que plus de 80 % des médicaments antirétroviraux utilisés sur le continent sont importés.
Le faible accès aux médicaments et leur caractère onéreux sont aggravés par plusieurs facteurs tels que les longs délais de livraison des commandes internationales, les déficits infrastructurels dus à l’insuffisance des capacités logistiques et de stockage, et les coûts élevés de transport et de distribution. Les finances publiques sont de plus très insuffisantes et les systèmes d’approvisionnement de la santé publique, imparfaits. Il existe, selon les estimations, une situation de pénurie pour les médicaments essentiels, tant dans le secteur public que privé. Les patients sont aussi souvent obligés d’acheter des médicaments non homologués.
De nombreux États africains dépensent des sommes disproportionnées par rapport à leurs maigres ressources pour acheter des médicaments. Le Mali et le Burundi ont par exemple consacré respectivement 2,3 % et 2,9 % de leur PIB à ces importations en 2006. L’évolution récente des tendances montre que les enjeux de santé auxquels le continent est confronté généreront de nouvelles demandes. En outre, les maladies non transmissibles, telles que les maladies cardiaques, les infections pulmonaires, le diabète ou le cancer, sont en augmentation à cause de la croissance démographique et de changements de mode de vie. Ces maladies représenteront la moitié des décès en Afrique, loin devant ceux causés par des maladies infectieuses.
Une difficulté supplémentaire découle de l’utilisation excessive de médicaments de marque, dont les prix sont bien plus élevés que les produits génériques équivalents les moins chers. À cet état de fait s’ajoute la question de la mauvaise qualité des médicaments et de leur réglementation déficiente qui suscitent des transactions illicites et contribuent aux problèmes sanitaires. Il n’y a pas si longtemps, au Nigéria, 64 % des médicaments antipaludéens étaient des médicaments de contrefaçon.
Avantages du renforcement de la production locale de médicaments
Le renforcement de la production de médicaments est essentiel à un avenir durable des systèmes de santé en Afrique. Il peut en effet élargir l’accès des patients aux médicaments vitaux, notamment dans les zones rurales où leur prix sera sensiblement réduit. Une meilleure santé est essentielle à la population et contribue à l’accroissement de la productivité. Le coût de la maladie est bien connu des familles et des économies nationales. L’impact direct et indirect du paludisme est, à lui seul, estimé à 12 milliards de dollars des États-Unis en revenu annuel sur le continent. La production locale de médicaments est possible et elle est devenue impérative.
L’amélioration des perspectives de croissance économique et les engagements pris par le continent en faveur de la transformation économique offrent des perspectives commerciales immenses. La fabrication locale est en effet susceptible de créer des emplois modernes, de stimuler l’activité économique et d’accroître la productivité de nombreuses façons.
L’activité pharmaceutique comporte des aspects juridiques, scientifiques, techniques, fiscaux et financiers. Afin de renforcer leur capacité de production, les pays africains doivent venir à bout des difficultés sur plusieurs fronts, allant de la recherche et développement à l’utilisation optimale des flexibilités offertes par les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (accord sur les ADPIC), en passant par les politiques fiscales et tarifaires, les mécanismes de réglementation et d’enregistrement des médicaments et, bien entendu, la construction des infrastructures.
Dans certaines parties du continent, principalement dans les pays d’Afrique du Nord et en Afrique du Sud, la place des fabricants locaux de produits pharmaceutiques s’est nettement développée. L’Égypte et la Tunisie produisent par exemple la majeure partie des médicaments essentiels dont leur population a besoin. Le Maroc, deuxième producteur pharmaceutique africain après l’Afrique du Sud, dispose de 40 unités industrielles pharmaceutiques, qui répondent à 70 % de la demande intérieure et exportent 10 % de leur production, en particulier vers les pays africains voisins. D’importants sites de production sont actuellement construits ou agrandis en Tanzanie, au Kenya, en Ouganda, en Éthiopie, au Ghana et au Nigéria. Le Mozambique vient d’ouvrir une unité de fabrication d’antirétroviraux avec l’aide du Brésil.
L’Afrique accueille certains des inventeurs-innovateurs et fabricants de médicaments génériques les plus éminents au monde. Les entreprises africaines les plus connues sont Starwin au Ghana, Saidal en Algérie, Universal au Kenya, Aspen en Afrique du Sud ou Cipla au Nigéria.
Ces exemples démontrent que l’Afrique produit dorénavant des médicaments respectueux des normes internationales.
Afin de consolider l’activité pharmaceutique, il importe de réduire le nombre des structures et d’harmoniser les politiques dans le cadre de l’intégration régionale. Le commerce intra-africain permettra de mieux utiliser et de renforcer les chaînes d’approvisionnement régionales, et d’accroître les économies d’échelle. Il est également susceptible d’attirer des investissements plus importants.
L’Afrique doit prendre la direction du développement de son secteur de la santé si elle veut créer de la richesse et donner une chance aux générations futures.