La population active de l’Afrique constituera l’un des piliers des bons résultats économiques envisagés pour le continent au cours des prochaines décennies. Un examen approfondi des conditions de transformation socioéconomique montre que les Africains ne peuvent plus ignorer la nécessité de prêter attention au capital humain. Notre position est qu’il faudra éviter l’érosion créée par la sous-alimentation infantile, déjà devenue une source de préoccupation. L’industrialisation, ou toute autre activité économique de grande production, a besoin d’individus au mieux de leurs aptitudes et de leur santé. Les enfants sous-alimentés en période de croissance sont prédisposés, aujourd’hui et plus tard dans leur existence, à être exclus de diverses manières de la santé, de l’éducation et des marchés du travail. Or ce problème est souvent laissé en marge des débats politiques sur le continent, d’où le peu d’attention que lui accordent les décideurs, comme en témoigne l’absence de progrès, notamment dans la réduction du retard de croissance dans la région.
Des études ont montré que des enfants qui ont été sous-alimentés, surtout dans les 1000 premiers jours de leur existence, peinent davantage à réaliser pleinement leur potentiel. Ces enfants souffrent de façon durable et irréversible de capacités cognitives et physiques réduites, ce qui limite non seulement leurs chances d’avoir une scolarité complète, mais aussi leur aptitude physique à effectuer un travail manuel, par exemple, avec la même efficacité que les enfants qui ont toujours été en en bonne santé. Il est évident que les effets cumulatifs d’une telle situation sur le développement socioéconomique des pays peuvent entraver la transformation structurelle de l’Afrique.
Au plan mondial, des appels ont été lancés en vue de placer la sous-alimentation infantile au centre des préoccupations de développement. Il est nécessaire de poursuivre sur cette lancée et de faire en sorte que la lutte contre ce fléau occupe une place de choix dans les débats et qu’elle ne soit pas éclipsée par de nouvelles priorités.
Les conclusions préliminaires des recherches montrent que la sous-alimentation a des effets profonds. Au plan éducatif, les enfants qui souffrent d’un retard de croissance atteignent un niveau d’instruction entre 0,2 % et 1,2 % inférieur à celui des enfants non touchés par ce problème, tandis que de 7 à 16 % de tous les redoublements scolaires sont liés à la sous-alimentation. Sur le plan de la santé, entre 8 et 28 % des cas de mortalité infantile sont liés aux risques accrus auxquels font face les enfants en sous-poids. Cependant, le plus grand impact de cette situation sera la perte de productivité, étant donné que les effectifs actuels de la main-d’œuvre ont été réduits d’entre 1 et 8 % à cause de la mortalité infantile, tandis qu’entre 40 et 67 % de la population actuelle en âge de travailler a souffert d’un retard de croissance au cours de l’enfance.
L’important défi auquel parties prenantes et praticiens sont confrontés est l’absence apparente de « solution miracle » qui éliminerait la sous-alimentation infantile ou la réduirait considérablement. Au cours de la dernière décennie, certains pays du continent, comme le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Lesotho, le Maroc et la Mauritanie, ont réussi à réduire d’une manière impressionnante leurs taux de retard de croissance, montrant ainsi qu’il est possible de progresser dans l’élimination de ce fléau. Toutefois, nous avons encore besoin de mieux comprendre les principaux facteurs de changement et dans quelle mesure ces bonnes pratiques peuvent être reproduites à plus grande échelle sur le continent.
À l’avenir, s’attaquer au problème de sous-alimentation infantile sera un élément clef et une condition indispensable pour tirer parti du dividende démographique en Afrique. Le continent doit libérer le potentiel de sa jeunesse et créer les conditions lui permettant de rivaliser avec d’autres concurrents régionaux et mondiaux dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation, afin d’être en mesure de produire de la nourriture en quantité et à des prix accessibles à tous. Ces efforts doivent aller de pair avec la réalisation d’autres conditions, telles que la constitution d’une base solide de capital humain grâce à l’amélioration des systèmes éducatifs et la satisfaction des besoins en capacités.
Alors que nous mettons en place le nouveau programme de développement inclusif du continent, nous devons nous interroger en toute franchise sur la signification réelle d’une réduction de l’exclusion pour l’Afrique. Le développement inclusif ne sera réalisé que lorsque tous les enfants auront les mêmes chances de survivre, de se nourrir et de s’instruire. L’égalité ne sera réalisée que lorsque les jeunes auront des chances égales d’accès à l’emploi, lorsque les ménages seront en mesure de mettre leur famille à l’abri de la pauvreté et que nos personnes âgées pourront profiter décemment de leur retraite. Pour qu’une telle transformation soit possible, il faudra veiller à ce que les filles et les femmes, les garçons et les hommes soient au centre de ce processus. Plus important encore, il faudra que nos interventions de politique générale et nos travaux de recherche s’appuient sur des données et des statistiques crédibles. Seulement alors pourrons-nous parler véritablement de transformation sociale et de développement inclusif sur notre beau continent.
Je ne peux qu’appeler de mes vœux l’élimination de la sous-alimentation et du retard de croissance infantiles afin de garantir le capital humain de l’Afrique et de réaliser un développement économique incluant toutes les couches de la société. Après tout, on ne peut oublier que le capital humain est le plus grand moteur économique de tous les temps. Je suis convaincu que c’est le bon moment pour nous, de concert avec nos partenaires, pour sensibiliser le public et mobiliser la volonté politique afin de faire reculer la sous-nutrition infantile.