Marrakech, 9 Décembre 2018 (CEA) – Le monde assiste-t-il aujourd’hui à une crise de la migration africaine ? En réalité, les données récentes contredisent beaucoup de perceptions courantes, façonnées par les récentes couvertures médiatiques. Aujourd’hui, aussi bien les pays d’origine que les pays de destination des migrants pourraient profiter d’une gestion améliorée et fondée sur les faits de la migration, selon un groupe de leaders africains et internationaux qui ont pris part à une rencontre sous le thème : « Synergies entre le Groupe de haut niveau sur les migrations et le Pacte Mondial pour la migration » dirigée par Mme Ellen Johnson Sirleaf, Présidente du Groupe à Marrakech le 8 décembre dernier.
Au cours des dernières années, l’attention internationale a été focalisée sur les migrants clandestins africains cherchant à se rendre en Europe. En réalité, les chiffres de la migration en Afrique révèlent que la majorité des migrants africains ne quittent pas le continent. Quant aux craintes récurrentes d’un impact négatif de la migration sur les populations locales, elles sont contredites par le vécu des pays concernés ainsi que des études récentes.
“Notre expérience révèle que les bénéfices de l’ouverture des frontièrespèsent plus lourd que les implications négatives en matière de sécurité, et que les pays qui ont effectivement mis en œuvre la liberté de mouvement des populations n’expérimentent ni crises ni menaces sécuritaires en conséquence”, a déclaré Gatarayiha Francois Régis, Directeur général chargé de l’Immigration et de l’Émigration de la République du Rwanda, dont le pays accorde des visas à l’arrivée à tous les citoyens africains depuis 2013, fait partie d’un accord avec le Kenya et l’Ouganda permettant aux ressortissants des trois États de voyager librement sans visas depuis 2014, et a élargi l’attribution de visas à l’arrivée à l’ensemble des citoyens du monde depuis juillet 2018.
“Ce sont les pays de destination qui bénéficient le plus de la migration, essentiellement à travers l’augmentation de la population active, le renforcement de la performance économique ainsi que des gains de productivité », a déclaré Mme Cynthia Samuel-Olonjuwon, Directrice régionale pour l’Afrique à l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Selon de récentes études de l’OIT et de l’OCDE, il est estimé que la migration génère une augmentation de la productivité nette de trois trillions de dollars à l’échelle mondiale, les migrants ayant un impact positif sur la croissance économique. « Globalement, il est peu probable que la migration réduise le PIB par habitant. Au contraire, dans certains pays comme la Côte d’Ivoire, on estime la contribution des immigrants au PIB à quelques 19%. Les immigrants peuvent également générer des opportunités d’emploi supplémentaires et des salaires améliorés pour les travailleurs nés dans les pays concernés », a ajouté Mme Samuel-Olonjuwon, expliquant que, dans le cas de l’Afrique du Sud par exemple, l’immigration a été corrélée à des impacts positifs pour l’emploi local et les salaires mensuels, ainsi qu’une baisse du chômage. La même recherche montre que les immigrants ont eu des impacts positifs nets sur l’équilibre budgétaire national de pays comme le Ghana ou l’Afrique du Sud.
D’autres perceptions de la migration africaines sont contredits par les chiffres mis en avant par le Groupe de Haut Niveau sur la Migration : bien que la population africaine ait doublé entre 1990 et 2017, et que le nombre global de migrants ait augmenté de 80%, le taux de migration de la région a baissé de 3,2% à 2,9%.
L’on s’attend toutefois à ce que l’évolution démographique mondiale entraîne une hausse de la migration africaine au cours des prochaines années : Alors que la population mondiale vieillit, la population africaine en âge de travailler (15 à 64 ans) a quadruplé entre 1960 et 2010, et devrait continuer à augmenter au cours des 40 prochaines années. « Au cours des prochaines années, près de deux tiers des jeunes du monde seront en Afrique. Qu’on le veuille ou non, l’avenir de l’offre mondiale en matière de de main d’œuvre réside en Afrique, et cette main d’œuvre devra se rendre là où elle trouvera des opportunités, particulièrement du fait que la création d’emploi en Afrique n’augmente pas au même rythme que la demande », a indiqué William Muhwava, Responsable de la section Population et Jeunesse à la Commission économique pour l’Afrique. Les mouvements de populations sont inévitables, et des restrictions excessives aux frontières peuvent les pousser vers la clandestinité au lieu de les faire disparaître, d’où la nécessité pour les pays de fournir des options pour une migration systématique, durable et régulière, a-t’il expliqué.
« Plus il y aura d’options régulières et légales pour les migrants, moins ils seront tentés d’immigrer illégalement. Nous devons aussi nous assurer que les migrants potentiels soient informés des voies légales qui sont à leur disposition », a expliqué Ahmed Husen, Ministre canadien de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.
En vue de maximiser les bénéfices de la migration, des efforts doivent être effectués en vue de s’assurer que les nouveaux arrivants sont pleinement intégrés dans les pays de destination. En amont du phénomène migratoire toutefois, les participants à la réunion ont également convenu que des efforts sont nécessaires pour que la migration reste une option plutôt qu’une nécessité pour les Africains. “Les gens ne devraient pas être forcés à migrer à cause des conditions économiques, politiques ou sociales adverses”, a déclaré Knut Vollebaek, ancien ministre des Affaires Étrangères de Norvège dans un discours lu en son nom par Stein Erik Horjen, Conseiller principal à l’Agence norvégienne pour le développement international.
Des efforts significatifs seront par conséquent nécessaires pour renforcer l’emploi des jeunes sur le continent. “Des solutions orientées vers le développement seront déterminantes pour agir sur les facteurs structurels de la migration,” a déclaré Mme Johnson Sirleaf, “La dynamique de changement de l’Afrique, pour devenir un continent pacifique, intégré et prospère a un impact sur son évolution en matière de gouvernance démocratique, de protection des droits et des libertés fondamentales ainsi que le respect pour l’État de droit. Tout cela renforce la participation des populations au processus politique, ce qui aide à réduire l’instabilité, un facteur essentiel de la migration irrégulière », a-t-elle ajouté.
Quant aux aspects relatifs à la migration, dans un contexte régional qui reste marqué par le grand nombre de barrières à la migration – les citoyens africains ont toujours besoin de visas pour se rendre dans 55% des autres pays africains – les participants ont convenu de la nécessité se pencher sur les obstacles à la migration au sein de la région, avant d’effectuer des demandes similaires auprès du reste du monde : « J’attire tout de suite votre attention sur le fait que le Pacte mondial pour la migration n’invente rien. Il est fondé sur les normes internationales existantes et fait écho aux cadres existants en matière de migration internationale, tels que ceux qui ont été adoptés et sont entrain d’être mis en œuvre par l’Union Africaine », a déclaré Sekai Irene Nzenza, Ministre du Service public, du Travail et de la Protection sociale de la République du Zimbabwe, “82% de la migration africaine se fait à l’intérieur du continent. Il existe par conséquent une nécessité impérieuse pour nous de mettre en œuvre le Pacte mondial pour la migration en Afrique, au niveau de nos marchés du travail, de nos communautés ainsi que nos frontières. Il est logique que de telles facilitations soient initiées en Afrique avant de faire appel à d’autres, en dehors de notre continent d’en faire de même pour nos citoyens. Charité bien ordonnée commence par soi-même”, a-t-elle ajouté, tout en reconnaissant la nécessité de trouver un équilibre entre les considérations sécuritaires et la nécessité de parvenir à des flux de populations plus équilibrés.
Ce n’est qu’à ce moment-là que l’Afrique pourra plaider de manière crédible auprès des autres régions pour qu’elles ouvrent leurs frontières aux Africains. Tant que les frontières intra-africaines restent fermées, l’intégration de l’Afrique dans le contexte global restera difficile, s’est inquiété pour sa part Yaya Sangare, Ministre des Maliens de l’Extérieur et de l'Intégration Africaine.
La rencontre sur les « Synergies entre le Groupe de haut niveau sur les migrations et le Pacte Mondial pour la migration » a été conjointement organisée par le Groupe de haut niveau sur les migrations en Afrique (HLPM), la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA) et la Commission de l’Union Africaine (CUA) dans le cadre des préparatifs de la Conférence intergouvernementale pour adopter le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (GCM - Marrakech, 10-11 décembre 2018).
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