Marrakech, 29 mars 2019 (CEA) – Les systèmes éducatifs africains sont-ils adaptés aux besoins de demain ? La réponse actuelle est : probablement non. Si, à l’heure de la révolution numérique l’Afrique n’est pas le seul continent forcé de revoir ses stratégies sous peine de perdre plus d’un emploi actuel sur 10, il apparait aujourd’hui nécessaire pour les décideurs africains de revoir complètement la logique des systèmes éducatifs et de formation professionnelle actuels… et même oser l’expérimentation en la matière en vue de pouvoir répondre à la demande des emplois de demain.
Réuni dimanche 24 mars à Marrakech en marge de la 52ème Session de la Commission économique pour l'Afrique et Conférence des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement Economique, un panel de haut niveau s’est penché sur la problématique de la planification de la main d’œuvre de demain en Afrique.
Le monde est aujourd’hui confronté à quatre phénomènes, qui doivent être pris en compte : Alors que les pays connaissent une stagnation économique assez lourde, on demande à leurs économies de croître trois fois plus vite pour créer davantage d’emplois ; beaucoup de pays vieillissent tout en limitant leur politique de migration; nous assistons aussi à une « ubérisation » de l’économie, avec le bouleversement des liens de travail par les nouvelles technologies ; et enfin, face aux changements environnementaux, il apparait aujourd’hui nécessaire d’exploiter les ressources de manière durable, sans laisser personne pour compte, a indiqué Lilia Hachem Naas, Directrice du Bureau de la CEA en Afrique du Nord.
Dans ce contexte peu favorable, l’Afrique dont plus de 60% de la population est âgé de moins de 25 anset qui connait l’arrivée annuelle sur le marché du travail de 10 à 15 millions de jeunes, se doit de reconnaitre les limites de ses systèmes éducatifs. « Beaucoup de nos pays africains ont vécu une longue expérience coloniale. Les systèmes éducatifs n’ont pas été conçus pour développer nos économies », a indiqué Yonov Frederick Agah, Directeur Général Adjoint de l’OMC, « Du coup, nous nous retrouvons aujourd’hui avec des diplômés dépourvus de connaissances et de compétences. Nous devons revenir à la case départ et prendre en compte l’importance croissante du e-commerce ».
« Aujourd’hui, 14% des emplois mondiaux sont menacés par la numérisation et l’automatisation, et les pays qui n’en perdront pas devront adapter le contenu de 31% des emplois a déclaré Moubarak Lô, Directeur général du Bureau de Prospective économique (BEP) du Sénégal. « Il existe aujourd’hui des opportunités et des menaces. En 2050, les jeunes seront en Afrique et c’est là que les marchés se développeront, mais si l’Afrique n’est pas préparée pour le numérique, les IDE (Investissements Directs à l’Etranger) iront ailleurs », a-t-il prévenu, appelant le continent à anticiper le changement devenu incontournable.
En effet, à l’heure de la révolution numérique, le monde connait l’apparition de nouveaux secteurs économiques : Intelligence numérique, « Internet des objets », big data, « nuages numériques » (clouds), autant de concepts et secteurs qui n’étaient pas connus du grand public il y a dix ans. Aujourd’hui, des entreprises comme Alibaba, Uber à travers le monde, M-Pesa ou Jumia en Afrique, inexistantes il y a moins de vingt ans, dominent aujourd’hui les marchés boursiers et emploient des milliers de personnes à travers le monde.
Parallèlement à l’explosion du numérique, d’autres secteurs évoluent rapidement, à l’instar de l’aéronautique, la génétique, les technologies spatiales, les biotechnologies ou encore l’énergie renouvelable. Enfin, même les métiers destinés à rester, comme la restauration, devront être revus à l’aune des nouvelles technologies. Ces transformations auront un impact déterminant sur les compétences demandées aux futurs demandeurs d’emplois.
Autant de changements qui imposent une réflexion sur la pertinence de nos systèmes éducatifs et leur capacité à produire des personnes employables, a indiqué Karima Bounemra Ben Soltane, Directrice de l’Institut africain de développement économique et de planification de la CEA (IDEP) : contrairement aux formations traditionnelles, plutôt techniques, les nouvelles compétences recherchées requièrent davantage de compétences relationnelles (soft skills), de créativité, d’intelligence émotionnelle, de capacité de jugement et de prise de décision,une plus grande orientation vers le service et la flexibilité cognitive, a-t-elle souligné.
Toutefois, si les experts se sont accordés sur la nécessité de réformer les systèmes éducatifs, la nature des réformes nécessaires reste à clarifier. L’emploi devrait être intégré dans toutes les politiques. Il ne devrait pas être un produit dérivé de la croissance économique mais une de ses composantes, a souligné Peter Van Rooij, Directeur régional adjoint Afrique à l’OIT.
En revanche, pour Karim El Aynaoui, Directeur exécutif du Policy center for the New South, les pays africains sont aujourd’hui confrontés à une problématique complexe, dont ils ignorent la réponse, d’où la nécessité d’accepter de prendre des risques et expérimenter différentes options. Selon lui en effet, les mutations en cours mettent en cause la manière même dont les politiques nationales ont été conçues jusqu’à présent, les systèmes éducatifs ayant été fortement régulés depuis la deuxième guerre mondiale. « Nous devrions créer des espaces d’expérimentation en matière de politiques publiques, car nous ignorons quelle est la solution et nous devons accepter le fait que nous ne connaissons pas la solution », a indiqué M. El Aynaoui qui a souligné la nécessité d’une approche décentralisée en la matière et s’est inquiété des risques que pourrait faire courir au continent un retard des décideurs à changer leur manière de voir les choses.
« Il s’agit d’une véritable révolution au niveau de la manière de penser et concrétiser les politiques publiques. Cela dit, des secteurs comme l’agriculture ou la production manufacturière continueront probablement d’exister en Afrique tandis que d’autres forces émergeront ailleurs : nous n’en sommes pas encore au jour où vous pourrez produire vos chaussures à la maison sur votre imprimante 3D », a-t-il reconnu.
En effet, l’Afrique a encore beaucoup de défis à relever avant de pouvoir faire compétition aux pays industrialisés dans le monde du digital. Parmi les obstacles auxquels elle est confrontée figure le taux d’alphabétisation limité, qui réduit les capacités de la main d’œuvre disponible, ou encore l’accès à l’informatique, à l’heure où beaucoup d’établissements éducatifs ne sont pas connectés. D’où la nécessité pour le continent de commencer par des étapes accessibles tout en cherchant à sauter celles qui peuvent l’être (leapfrogging). « A l’ONUDI, nous encourageons les pays à penser aux politiques industrielles modernes, qui considèrent à la fois le rôle du secteur public et du secteur privé. Ce sont des politiques industrielles qui se fondent d’abord sur nos avantages comparatifs habituels et intègrent les avantages dynamiques », a indiqué Victor Djemba, Directeur du Département Afrique de l’ONUDI, qui cherche à promouvoir un développement industriel inclusif et durable.
Organisé dans le cadre des préparatifs du nouveau cycle de formations de l’IDEP sur les problématiques émergentes, destinée à permettre aux Etats africains de mieux anticiper leurs besoins futurs. Le débat s’est tenu avec le soutien du Bureau de la CEA en Afrique du Nord, spécialisé dans les problématiques de l’emploi, le Haut-Commissariat au Plan du Royaume du Maroc et le Policy Center for the New South.
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