Session ministérielle de haut niveau de la Conférence des ministres – Semaine du développement de l’Afrique – Allocution de M. Carlos Lopes

 

Session ministérielle de haut niveau de la Conférence des ministres – Semaine du développement de l’Afrique

 

Allocution de Carlos Lopes

Secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies

et Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique

 

4 avril 2016

Centre de conférences de la CEA, Addis-Abeba

 

Monsieur Hailemariam Desalegn, Premier Ministre de la République fédérale démocratique d’Éthiopie,

Monsieur Nickey Iyambo, Vice-Président de la République de Namibie,

Monsieur Augustin Matata Ponyo Mapon, Premier Ministre de la République démocratique du Congo,

Madame Nkosazana Dlamini Zuma, Présidente de la Commission de l’Union africaine,

Mesdames et messieurs les ministres,  chefs de délégation et invités,

Mesdames et Messieurs,

 

Il y un an environ, nous célébrions encore les bons résultats économiques de l’Afrique. Nous n’étions pas les seuls à le faire. Les experts, les investisseurs et les médias avisés reconnaissaient que les perspectives étaient favorables pour l’Afrique, même si les sceptiques n’étaient pas loin. Beaucoup se laissaient cependant aller aux amalgames habituels. Un continent aussi vaste que l’Afrique était supposé subir des pertes dépassant les 30 milliards de dollars en raison d’Ebola, alors qu’en réalité seuls trois pays, n’ayant qu’une petite part dans le PIB total du continent, ont été touchés. Mais dans l’ensemble, les nouvelles ont plutôt été encourageantes. Après tout, 2015 a été une année exceptionnelle pour le continent, en ce qu’il a imposé une nouvelle façon de traiter les questions internationales. L’Afrique a fait œuvre de pionnier dans les discussions concernant les nouveaux objectifs mondiaux, les flux financiers illicites, la mobilisation des ressources intérieures, la révision des données, l’évaluation des changements démographiques ou le retour aux politiques d’industrialisation.

Que les choses peuvent changer en un an ! Même si la menace d’Ebola s’est dissipée, des phénomènes funestes semblables ou plus préoccupants sont bien présents et se propagent tel un virus. Je pense qu’il est important de comprendre les enjeux de l’heure.

 

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de m’attaquer au premier grand sujet, à savoir la chute des cours des produits de base qui a des effets négatifs considérables sur les pays africains.

En 2015, les pays en développement du monde entier ont enregistré leur taux de croissance le plus faible depuis 2009, à savoir 4,3%. Ce fléchissement de la croissance s’explique notamment par le ralentissement de l’activité en Chine, la récession frappant de grandes économies émergentes comme le Brésil et la Russie ainsi que la faiblesse des cours des produits de base. Celle-ci, en particulier, engendre une diminution des recettes d’exportation, des déséquilibres budgétaires et des déficits des comptes courants dans plusieurs pays africains. En 2015, l’Afrique a enregistré le plus gros déficit de sa balance des paiements courants de ces 10 dernières années. En 2015 toujours, 42 des 46 produits de base suivis par la Banque mondiale s’échangeaient à leur prix le plus bas depuis le début des années 80. Étant tributaires des importations ainsi que de leurs exportations de produits de base et de ressources naturelles dont les acheteurs sont du reste peu nombreux, les pays africains sont très vulnérables à la volatilité des prix et aux chocs commerciaux. Les répercussions de ces chocs sont souvent aggravées par le caractère sous-développé des systèmes financiers intérieurs et la mauvaise qualité des institutions en Afrique. Cependant, la volatilité actuelle des cours de la plupart des produits de base (hors pétrole) ne sort pas de l’ordinaire lorsqu’on la compare aux tendances historiques.

La majorité des pays africains sont des importateurs nets de produits de base et devraient par conséquent tirer profit de la baisse des cours. Il est difficile de prédire pour une longue durée l’effet qu’aura la baisse actuelle des cours des produits de base sur la trajectoire de développement de l’Afrique. La situation est assurément très difficile, mais elle donne de solides motifs de réorienter vers des activités plus durables les ressources économiques affectées à la production des produits de base. De plus, il est difficile de dire si l’augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs résultant de la baisse des cours des produits de base pourra apporter une hausse de la croissance supérieure aux pertes essuyées dans les exportations de ces produits.

En 2016, avec le prix du baril de pétrole à 30,8 dollars, l’excédent commercial de l’Afrique chutera de 47,1 milliards de dollars par rapport à 2015. Cette différence représente environ 8% de la valeur totale des exportations de l’Afrique en 2014. Certes, elle est considérable, mais il est peu probable qu’elle modifie la trajectoire de développement du continent entier, la chute des cours du pétrole devant plus vraisemblablement avoir de grandes conséquences nuisibles sur la seule poignée de pays africains dont l’économie est tributaire des exportations de pétrole. Quoi qu’il en soit, les États peuvent saisir l’occasion offerte par le pétrole bon marché pour éliminer leurs subventions inefficaces sur les produits pétroliers. Il ressort d’études menées par le Fonds monétaire international que plus de 40% des subventions portant sur les prix des carburants dans les pays en développement reviennent aux 20% de ménages les plus riches, tandis que 7% seulement vont aux 20% de ménages les plus pauvres.

La volatilité des cours de la plupart des produits de base, hormis le pétrole, a été forte en 2015, mais, contrairement aux idées reçues, pas beaucoup plus élevée que par le passé. L’uranium, l’or, le café, le cacao ou le jus d’orange exportés de l’Afrique se vendent à des prix records.

Le premier sujet se justifie selon que nous voulons examiner le tableau complet de la situation ou au contraire faire preuve de pessimisme facile au sujet de l’Afrique.

Je pourrais choisir bien d’autres grands sujets, par exemple celui de la dette de l’Afrique qui s’envole et entre en zone dangereuse.

La dette extérieure totale de l’Afrique est supérieure à 30% de son PIB depuis 2010 et, selon les projections, devait atteindre 37,1% à la fin de 2015. Néanmoins, le ratio de la dette extérieure nette au PIB n’est  que de 1%, ayant même été négatif depuis 2006 en raison des réserves internationales de l’Afrique. Ce niveau d’endettement est comparable à celui d’autres pays en développement et se situe bien en-deçà de celui des économies avancées. Par exemple, la dette totale des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avoisinait 80% du PIB de l’Organisation en 2008 et devait monter jusqu’à 111,2% en 2015 selon les prévisions. Le champion en matière d’endettement est le Japon, qui affiche un ratio dette/PIB de 230%.

La dette souveraine est poussée à la hausse par les politiques monétaires asynchrones des économies avancées et puissantes. Il n’existe aucun mécanisme cohérent permettant de gérer de futures crises de la dette souveraine. Les mécanismes propres aux divers créanciers qui ont été utilisés pour faciliter les restructurations de la dette par le passé n’existent plus. Certes, le FMI a proposé un mécanisme de restructuration des dettes souveraines il y a plus de 10 ans, mais il n’existe toujours pas d’accord international sur ce sujet. Tout le monde  s’accorde à dire que les règles en vigueur sont trop favorables aux créanciers, mais aussi que la meilleure solution ne consisterait sans doute pas à pousser à la conclusion d’un accord international trop favorable aux emprunteurs. Cela dit, le débat sur la dette devrait porter principalement sur les effets généralisés de l’assouplissement quantitatif des règles du jeu qui a apporté des crédits faciles aux économies affaiblies des pays développés, lesquelles se sont contractées de 54 % depuis le début de la crise financière de 2008-2009. De toute évidence, une contrepartie s’imposait et elle a été en l’occurrence l’augmentation du loyer de l’argent pour les plus pauvres.

En réalité, il y a lieu de faire preuve de souplesse dans la fixation des plafonds de la dette et l’évaluation de celle-ci. Les pays africains ne doivent pas être soumis à des contraintes ou des privations excessives. La viabilité de la dette ne peut être assurée que si toutes ses composantes sont traitées de façon globale lors de sa restructuration et si un mécanisme clair est mis en place pour amener toutes les parties prenantes à trouver un consensus sur les moyens de combler les failles de l’architecture financière. Il sera difficile aux pays riches de l’accepter.

Ni la politique monétaire ni le secteur financier ne jouent les rôles qui leur sont assignés. Il s’avère que la surabondance de liquidités sert beaucoup plus à constituer des fortunes financières et à gonfler des bulles d’actifs qu’à renforcer l’économie réelle. En dépit des fortes chutes des cours des actions enregistrées dans le monde entier, le ratio de la capitalisation boursière au PIB mondial demeure élevé. On ne saurait méconnaître le risque qu’il y a de voir une nouvelle crise financière éclater. L’Afrique n’en serait pas l’auteur.

 

Mesdames et Messieurs,

Nous lançons un très grand nombre de publications cette semaine. On y trouvera des études portant sur le lien entre le commerce et l’innovation, les réalités des traités d’investissement, un manuel exhaustif d’économie bleue, un contre-cadre macroéconomique pour l’Afrique, les progrès réalisés en Afrique de l’Ouest en matière d’intégration, l’indicateur d’intégration régionale, un rapport relatif à la gouvernance axé sur la corruption, un profil démographique de l’Afrique, les importants nouveaux profils de pays qui seront à terme produits pour chacun des pays d’Afrique, la question des migrations, sans parler de nos rapports jumeaux sur la transformation par l’industrialisation et l’industrialisation écologique. Ces publications constituent de réels efforts visant à réorienter nos mentalités vers des politiques porteuses de transformation. Nous concourons à la production de connaissances centrées sur l’Afrique et ne comptons pas nous en excuser. Le temps est venu d’accélérer le rythme de la transformation structurelle en raison des vents contraires qui soufflent et non malgré eux. Cela exige des connaissances.

 

Mesdames et Messieurs,

La croissance actuelle de l’Afrique est-elle à notre goût ?

Bien sûr que non. En effet, elle ne crée pas suffisamment d’emplois et ne profite pas à une fraction de la population suffisamment large pour pouvoir réduire considérablement la pauvreté. Portée pour un tiers par la flambée des cours des produits de base et les dépenses publiques, elle est fragilisée par les fluctuations de ces cours. Cela nous rappelle l’impérieuse nécessité de la transformation structurelle qui, dans notre cas, doit être centrée sur les possibilités qu’offrent l’industrialisation, que ce soit par le développement des chaînes de valeur des produits de base, par le positionnement du secteur agro-alimentaire comme force permettant de sortir l’agriculture du marasme ou par le renforcement des capacités requises pour attirer des productions manufacturières de faible valeur touchées par la hausse des coûts de la main-d’œuvre en Asie.

Cela à notre portée.

Nombre de pays de différentes régions du monde ont fait l’expérience pratique de la transformation structurelle. Loin de se produire spontanément, celle-ci est l’aboutissement de politiques délibérées et cohérentes ancrées dans une stratégie de développement cohérente et éclairée par des dirigeants acquis à la cause de la transformation.

 

Je vous remercie.