Contexte

La Conférence économique pour l’Afrique (CEA) est placée, cette année 2014, sous le thème « Savoir et innovation pour la transformation de l’Afrique ». De fait, l’avenir de l’Afrique et le sort qui sera réservé aux jeunes générations dans les prochaines décennies dépendra en grande partie du degré de maîtrise du savoir et de l’innovation. L’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) et la Position commune africaine sur l’Agenda de développement post-2015 identifient les sciences, les technologies et l’innovation comme les axes majeurs du développement de l’Afrique. Alors que le continent continue de mettre en place son agenda en faveur « d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique, tirée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique à l’échelle internationale », le succès dépendra en grande partie du savoir-faire, des technologies et des compétences engrangés et orientés vers l’innovation.

Si la plupart des gouvernements africains reconnaissent l’importance du savoir et de l’innovation, le continent connaît toutefois un sérieux déficit de compétences dans des domaines indispensables à l’atteinte de l’objectif de transformation structurelle. Le fait qu’un grand nombre d’ingénieurs et de diplômés des facultés de sciences soient au chômage, en Afrique, souligne (outre la lenteur du processus de transformation structurelle) l’inadéquation entre la demande et l’offre de compétences sur le continent. La prolifération des instituts d’enseignement supérieur et des groupes de réflexion dédiés aux enjeux du développement ont eu beau proliférer depuis les années 1950, en Afrique, cela n’a pas pour autant aidé à réduire le déficit des compétences sur le continent – non plus amélioré l’accès à l’emploi. Au contraire, alors que les opportunités pour accéder à des activités économiques et à l’entreprenariat se sont multipliées ces dernières années, l'inadéquation des compétences n’a pas permis – aux jeunes et aux femmes en particulier –, de tirer directement profit de la croissance économique. Aussi, la pertinence des connaissances transmises par les instituts d'enseignement supérieurs africains est-elle de plus en plus remise en cause.

Toutefois, le constat est positif, en dépit de ces défis un nouveau genre d’entrepreneurs a entretemps émergé, férus de digital et qui adoptent les nouvelles technologies. Un des objectifs majeurs de la CEA 2014 est d’examiner les meilleures façons d’utiliser le savoir et l’innovation de sorte à accroître l’accès des jeunes à l’emploi et, partant, à accélérer l’absorption de nouvelles technologies dans l’économie.

Combler le déficit de compétences et d’innovation en Afrique

Les pays africains sont bien conscients que leur développement dépend de la manière et de la vitesse à laquelle ils acquièrent les compétences en technologies. Cependant, cette volonté de combler le déficit en matière de technologie et d’innovation s’est vue entravée par le manque de politiques nationales cohérentes en matière d’innovation (notamment de cadres réglementaires appropriés et de mesures d’incitation), l’absence de partenariats stratégiques public-privé sur l’éducation et le développement des compétences et par l’insuffisance des politiques visant à renforcer la disponibilité du capital-risque.

L’importance des infrastructures immatérielles dans la transformation économique n’est plus à démontrer. Pour renforcer et influencer la portée et la qualité des liens industriels, les entreprises africaines devront se doter de compétences et de technologies propres à améliorer les méthodes de production, identifier des débouchés commerciaux et commercialiser leurs produits. De même, l’entrée dans les chaînes d’approvisionnement et de valeur d’envergure mondiale suppose que les entreprises africaines perfectionnent leur compétitivité opérationnelle, répondent aux normes techniques internationales et adoptent des pratiques de fabrication de niveau mondial – un processus qui requiert un niveau d'expertise rarement disponible.

Bien des choses ont été dites sur l’Afrique en ce qui concerne la capitalisation des matières premières au service de l’industrialisation et de la transformation structurelle. Mais, là encore, l’optique de perfectionner, en amont, les compétences, les technologies et les innovations demeure primordiale. En effet, le secteur des minerais et des métaux exige des capacités technologiques spécifiques pour pouvoir rivaliser avec les fournisseurs internationaux, développer les ressources nouvellement découvertes (telles que le pétrole et le gaz) et miser sur des axes de croissance plus écologiques.

Si le rythme de développement des compétences, des technologies et de l’innovation a été lent en Afrique, c’est surtout en raison de l’absence d’une masse critique de travailleurs qualifiés ayant fait des études universitaires, du manque de laboratoires et de matériel scientifique de haute qualité, de la non disponibilité de financements à long terme et de l’absence de solides initiatives privées et de capacités de gestion. En Afrique, la majorité des diplômés d’universités est constituée de licenciés en sciences humaines et sociales, les étudiants en sciences, technologies, en ingénierie et mathématiques représentant moins de 25 % des effectifs inscrits à l’université. En outre, les femmes étant sous-représentées dans les filières scientifique et technologique, le continent est doublement désavantagé, ne parvenant pas à mobiliser une proportion substantielle de ses ressources humaines pour impulser la dynamique d’une croissance durable et inclusive.

Par exemple, à l’exception de Maurice (53e) et de l’Afrique du Sud (58e), les pays africains continuent d’occuper les derniers rangs des classements mondiaux en ce qui concerne l’innovation ("Indice mondial 2013 de l'innovation") . Un bilan mitigé, dû, en partie, à un enseignement technique délaissé et peu valorisé. Les inscriptions dans l’enseignement secondaire en Afrique ont certes plus que doublé en vingt ans, passant de 20,8 millions à 46,3 millions au cours de la période 1990-2011 ; mais le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur n’atteint, actuellement que 6 % seulement pour les femmes et 10 % pour les hommes (“Suivi des progrès de l'Afrique en chiffres”). Le peu d’intérêt accordé à la promotion de la créativité dans les systèmes éducatifs en Afrique et à la nécessité de doter les élèves et étudiants des compétences requises pour l’acquisition de connaissances et la résolution des problèmes n’ont pas favorisé non plus les avancées technologiques. Les dépenses intérieures brutes de recherche et développement sont loin d’être conséquentes, sur le continent et sont surtout le fait du secteur public, qui privilégie l’agriculture. Il est fait très peu de cas, en général, des instituts de recherche industrielle. Malheureusement, ces organismes publics sont souvent insuffisamment développées, ne disposent pas de ressources adéquates et ont peu de liens avec le secteur privé.

Le développement des compétences essentielles passera par une action coordonnée des gouvernements et des acteurs économiques, en vue d’instaurer des systèmes nationaux d’innovation appropriés (avec, entre autres, des investissements continus dans l’enseignement, la recherche-développement, des programmes structurés de formation  continue en développement des compétences, et la création d’instituts de formation technique étroitement liés à l’industrie et à l’émergence de nouvelles compétences entrepreneuriales). De nouveaux partenariats stratégiques entre les secteurs public et privé et l’industrie devront probablement être mis en place aux niveaux national, sous-régional et régional, de sorte que les compétences et l’innovation impulsent et soutiennent la transformation économique de l’Afrique. Sans perdre de vue que l’Afrique entend se transformer à l’ère de l’évolution rapide des technologies et de l’innovation à l’échelle mondiale, les gouvernements devront élaborer des stratégies visant à exploiter de nouvelles technologies et innovations à même de libérer le potentiel que recèle l’explosion démographique de la jeunesse africaine.

La bonne nouvelle est que l’Afrique dispose d’un large éventail de possibilités technologiques qui lui permettraient de renforcer sa compétitivité économique. Dans certains domaines, le continent pourrait même prendre de l’avance sur les développements technologiques et se projeter à la l’avant-scène de l’innovation. Par exemple, les avancées technologiques dans le domaine de la téléphonie mobile permettent de transférer rapidement des fonds vers les zones rurales et quasi partout en Afrique. Les TIC et les biotechnologies peuvent être exploitées et appliquées afin d’accroître la production alimentaire et la compétitivité économique. Au niveau continental, un certain nombre de programmes-cadres ont été formulés pour accélérer le développement scientifique et technologique de l’Afrique. Ces initiatives pourraient accroître les ressources financières destinées aux activités de recherche et d’innovation en Afrique.